La Voie d’Aroxenn, c’est une nouvelle de cosy fantasy, queer et anarchiste, écrite pour une personne incroyable que j’ai date un 13/12. C’est une nouvelle sur la liberté, celle que l’on cherche dans les livres, mais qui est une fuite, celle que l’on prend par la lutte, mais qu’il faut protéger à chaque instant, et celle plus intime, que l’on trouve dans son coeur quand on renonce à l’idée de posséder les êtres que l’on aime.
Le feuilleton comptera 10 épisodes, à retrouver deux fois par semaine sur le blog, et nos réseaux sociaux. Vous pourrez télécharger l’intégralité de la nouvelle en fichier epub au dernier épisode, avec une superbe couverture et sans doute une carte dessinées par Noah !
Yurgo, libraire au chômage, hérite d’une grande tante qu’il n’a jamais connu. Cet héritage le sort de la galère et lui permet d’accomplir son rêve : ouvrir son café librairie, dans un lieu magique en bordure d’une forêt. Il y fait la rencontre d’Aroxenn, une personne fascinante et mystérieuse, qui semble en savoir beaucoup sur le lieu et les secrets qu’il renferme. Alors qu’il aspire à faire vivre dans sa librairie un petit bout d’utopie, Yurgo remet tout en question quand il découvre un secret bien gardé. Qui est cette tante Sigrid qui lui a tout légué ? Quels secrets renferme le lieu qui abritera sa librairie ? Qui est vraiment Aroxenn ?
Épisode 01 / 02
5
Yurgo se réveille en sursaut. Il regarde son portable posé sur la table de nuit. Trois heures du mat’, merde. Il sait qu’il ne va pas pouvoir se rendormir. Il a le sommeil léger. Même ici, au milieu de rien, dans l’appartement qu’il a aménagé à l’étage de la vieille auberge. C’est une vieille bâtisse et elle parle en dormant. Les parquets craquent. Les murs chuchotent. Les canalisations chantent. Il entend tout.
Mais cette fois-ci, ce n’est pas le bruit d’une canalisation enrhumée qui l’a réveillé. Autre chose. Une pile de livre qui tombe ? Il se frotte les yeux et arrête de respirer. Le silence. Il entend le vent dans les arbres au dehors. La rivière qui chuchote. Et du mouvement. En bas. Bordel je me fais cambrioler. Il se lève sans un bruit, son portable à la main pour l’éclairer dans l’obscurité de l’appartement. Arrivé en haut des marches qui descendent à la librairie, il se fige et écoute.
Des frottements. Des petits pas légers. Comme ceux d’un chat. Ou d’un chien. Des livres que l’on remet en place. Yurgo descend pas à pas. En silence.
« Circus, arrête ! » chuchote la voix d’Aroxenn. Yurgo se fige. Il s’arrête au milieu de l’escalier. Il ne peut pas voir mais entend tout. Il entend une clé dans une serrure. La porte de la cave. Il entend deux chiens qui se chahutent doucement. « Circus ! dernière fois ! » La porte s’ouvre, les bruits se font plus étouffés. La porte se ferme.
Mais qu’est-ce que…
Yurgo descend les marches. Il regarde la porte de la cave sans comprendre. Iel… Iel vit dans la cave ? Il se maudit intérieurement d’avoir des idées aussi idiotes et décide de suivre Aroxenn. Il colle son oreille à la porte. Des bruits étouffés lui parviennent. Des pas. Un meuble qu’on déplace.
Et puis plus rien.
Le silence. Les parquets qui craquent à nouveau. Les murs qui chuchotent. Les canalisations qui chantent.
Il ouvre la porte. « Aroxenn ? » Pas de réponse. Il allume la lumière de l’escalier, essaye d’apercevoir quelque chose en bas. « Aroxenn ? » Toujours pas de réponse. Il descend prudemment. Les marches craquent sous ses pas. Il n’a pas encore aménagé la cave, n’en ayant pas besoin dans l’immédiat. Dans un excès de paresse, il a donc décidé que la cave pouvait caver en paix. J’aurais dû au moins changer ce putain d’escalier.
Arrivé en bas, il regarde autour de lui. Il n’est descendu que trois fois, et ne s’est jamais attardé. Il a regardé trop de films d’horreur pour rester plus de quelques secondes dans un endroit pareil. La cave, c’est l’endroit où tout le monde laisse les choses qu’ils veulent oublier. Des souvenirs encombrant dont on ne veut pas se débarrasser pour autant. Des cadeaux moches mais qu’on n’a pas pu refuser. La cave, c’est l’entre deux. Le purgatoire des choses perdues.
La pierre paraît très ancienne. Toute une partie de la pièce semble même creusée dans la roche. L’ampoule vacillante au dessus de sa tête est la seule trace de modernité dans un bric à brac antique et probablement sans valeur. « Aroxenn ? » Toujours rien. Le silence. Le grésillement agité de l’ampoule.
Il regarde à terre. Des traces de pas. Il allume la lampe de son portable et suit du regard les traces qui mènent au fond de la pièce. Bordel Aroxenn tu me fais faire quoi là ? Un bruit derrière lui le fait sursauter. Il se retourne, le coeur battant, et voit un petit mulot figé dans la lumière de sa lampe.
Putain de merde, ressaisis-toi.
Il s’enfonce dans les méandres encombrés de la pièce en suivant les pas d’Aroxenn. De tous côtés, des choses perdues semblant provenir de toutes les époques. De vieux volumes jaunis. De la vaisselle démodée. Des bougeoirs. Des caisses entières de vieux papiers, de carnets en cuir et de classeurs. Il a l’impression de remonter le temps.
Les pas s’arrêtent juste devant une vieille bibliothèque. Yurgo regarde autour de lui, sans comprendre. « Aroxenn, c’est pas marrant ! »
Seul le silence lui répond.
Il examine la bibliothèque. Elle est presque vide. Seuls quelque vieux livres reliés en cuir y sont entreposés sur une étagère. C’est quoi cette embrouille ? Il fige le faisceau de sa lampe. Dans la poussière, sur la paroi du vieux meuble, la trace d’une main. Il l’effleure, sent sous ses doigts un petit relief. Il retire sa main et se penche : le dessin délicat d’une petite clé y est gravé. Il regarde encore autour de lui, tentant de comprendre.
Un passage secret ? Il se pose la question sans y croire. Mais c’est une vieille baraque et des résistants se sont cachés dans le coin pendant la guerre alors…
Des traces. Dans la poussière, des traces en arc de cercle comme une porte qu’on ouvre.
Mais non c’est vraiment débile… Il réfléchit quelques secondes, pose son portable sur une étagère et se saisit de la bibliothèque en la tirant vers lui.
Elle bascule dans un cliquetis mécanique.
Un souffle tiède lui caresse le visage. Son portable à la main, il n’en croit pas ses yeux. Face à lui, un cadre noir. Ni plein, ni vide. Seulement l’obscurité sourde. Comme une ombre palpable. Il approche sa main, l’ampoule au plafond grésille avec plus d’intensité.
Bordel.
Il prend un petit cailloux à ses pieds et le jette. La nappe noire l’avale sans un bruit.
« Aroxenn ? » Pas de réponse. Évidemment, abruti.
Il avance sa main avec hésitation. Le grésillement derrière lui se fait plus insistant. Ses doigts touchent la surface, sans qu’une seule sensation ne lui parvienne. Pas même la surface d’un mur. Mais bordel de bordel de bordel c’est quoi ce truc ?
Il respire un bon coup et y passe sa main… Rien. Tout juste sent-il une douce tiédeur lui caresser la peau. Pas la moindre sensation. Sa main a juste disparu dans la surface, sans rien altérer de son obscurité. Il la retire, l’examine : rien à signaler.
Aroxenn, tu me dois quelques explications. Il souffle, prend son courage à deux mains, et traverse l’ombre d’un pas décidé.
Banzaï.
6
Yurgo rouvre les yeux timidement. Autour de lui, une autre cave. Le bois est plus rustique, la pièce plus lumineuse : malgré l’absence d’ampoule au plafond, une lueur argentée y coule depuis l’escalier. Des bruits de pas sur le parquet au dessus de sa tête brisent le silence.
Où je suis putain ?
Il s’avance prudemment vers la lumière. Il grimpe les marches lentement, la respiration courte, attentif au moindre bruit.
« Circus ! Laisse le tranquille un peu ! »
Aroxenn. Yurgo arrive en haut de l’escalier, dans une petite auberge vide. L’air y est tiède, la nuit éclabousse le sol de son éclat bleuté. Des tables en bois rustique et de petits tabourets tout droit sortis d’une cuisine de hobbit sont entassés dans un coin de la pièce.
« Aroxenn ? »
Plus un bruit.
« Aroxenn ! Je sais que t’es là. »
Un bruit de pas dans son dos. Il se retourne. Aroxenn se tient dans l’encadrement de la porte, le visage fermé. « Yurgo… Qu’est-ce que tu fais là ? » Iel est torse nu sous un poncho gris posé sur ses épaules, vêtue d’un simple pantalon de toile beige et de sandales de cuir. Circus et un autre chien inconnu trottinent jusqu’à lui pour le saluer. Yurgo se fige dans un tremblement paniqué. L’impression d’être coincé dans un rêve bizarre, à ce moment où tout peut basculer vers le cauchemar. Il se tait quelques secondes, incapable de sortir le moindre son. Les questions se bousculent dans son cerveau fatigué.
« Qui es-tu ? », arrive-t-il tout juste à articuler d’une voix étranglée.
Aroxenn le regarde calmement. « Yurgo… » commence-t-iel. Iel s’interrompt. Semble chercher ses mots. Sa main vient ranger ses cheveux d’ivoire derrière son oreille en pointe. « Tu es dans un autre monde, Yurgo. »
Tout devient flou et froid. Il s’effondre.
7
Des échos confus. Une sensation de chaleur. Un frisson dans sa nuque. La tête lourde. Les membres engourdis. Ouvre les yeux.
« Yurgo ? » la voix d’Aroxenn, lointaine, lui parvient comme le son d’une radio fatiguée. « Yurgo ? » Qui se perd dans les méandres.
Ouvre les yeux abruti.
Le flou ébloui dans la lumière bleutée. Les formes se dessinent et l’image se précise. Un couinement à sa droite, une langue râpeuse qui lui lèche la joue.
« Circus ! »
Au dessus de lui, le visage inquiet d’Aroxenn. Ses cheveux coiffés en arrière laissent apparaître la pointe de ses oreilles. La mémoire lui revient peu à peu.
« Je suis où ? » articule-t-il d’une voix pâteuse. Sa tête le lance. Il se redresse avec difficulté, aidé d’Aroxenn qui se penche sur lui avec douceur. « Chez toi. »
Yurgo regarde à nouveau autour de lui. C’est une vieille bâtisse de pierre. De petites fenêtres aux vitraux blancs ouvragés laissent entrer l’éclat argenté de la nuit. Quelques bougeoirs colorent la pièce d’un contraste orangée. L’endroit semble inoccupé. Vide. Quelques vieux meubles entassés trahissent sa fonction passée. Une auberge. Il se tourne vers Aroxenn d’un air confus.
« Non, ce n’est pas chez moi. »
Aroxenn lui sourit. Un bras entourant ses épaules, iel l’aide à boire le contenu d’un godet en bois. Un liquide tiède et acidulé coule dans sa gorge, diffusant dans son corps une agréable sensation de chaleur. « Si, tu es chez toi. », insiste-t-iel avec douceur, un sourire aux lèvres. « C’est une longue histoire mais je pense que tu es capable de suivre », ajoute-t-iel avec malice.
Il se relève. Sa vue se brouille un peu, puis tout redevient net. Un bras autour de sa taille, Aroxenn le guide vers la porte d’entrée. « Viens, on va prendre un peu l’air. »
C’est étrange comme le cerveau s’adapte vite. Dans la tête de Yurgo, la tempête a laissé sa place à un calme étrange. Portail magique dans la cave ? OK. Vers un autre monde ? O-K… Des oreilles en pointe ? Cute.
Une brise tiède lui caresse le visage. Ici, la nuit n’est pas vraiment bleue. Elle est mauve. D’ailleurs, là-haut ce n’est pas vraiment la lune. Pas sa lune. Une gigantesque sphère aux nuances violettes éclaire la nuit comme un soleil tamisé. Yurgo se fige, bouche bée, saisi par la beauté du paysage qui se déroule à ses pieds. Des collines couvertes d’une herbe turquoise, des bois aux troncs blancs coiffés d’un feuillage pourpre, et au loin des montagnes majestueuses brisent l’horizon de leurs dents acérées.
Ici et là, de petites masses sombres aux fenêtres éclairées. Au loin, une ville.
« Putain c’est beau. » lâche Yurgo le souffle court. Aroxenn lui prend la main et l’invite à la suivre. Dans le ciel les millions d’étoiles sont comme les spores d’un pissenlit figés en plein vol. Il ne sait plus ou poser son regard. Il est comme un chien fou dans un lieu plein d’odeurs. Tout est nouveau. Tout paraît magnifique. Un voyage dans un rêve d’enfant, en plus net et en moins chaotique. Un sacré trip.
Iels s’assoient dans l’herbe et observent la nuit en silence. Yurgo a en tête une montagne de questions mais ne sait pas par où commencer. Muet face à l’indicible. Il regarde le visage doux d’Aroxenn, ses yeux brillants plongés dans la nuit mauve. Plus loin, en bas de la colline, les deux chiens jouent et se chahutent au clair de lune. « Encore un rescapé ? » demande enfin Yurgo en désignant le grand animal beige. Aroxenn sourit « Oui, je les ramène ici, ils ont plus de chance de vivre heureux. » Yurgo le sent ému. Il serre doucement sa main dans la sienne. Iel se ressaisit et se tourne vers lui :
« Tu as certainement pas mal de questions… commence-t-iel.
_ Je suis où ? » demande Yurgo sans attendre.
Aroxenn réfléchit. Hésite. « Ici les gens appellent ce monde la Terre mais… tu peux voir que ce n’est pas vraiment la même.
_ Oui, ok. Terre. Et ici, c’est comment ? demande-t-il en faisant son possible pour ordonner ses pensées.
_ Ici, on est dans la province d’Agosten. Là-bas tu peux apercevoir les Monts d’Orendaël. Et juste en bas, là, ce sont les bois ardents d’Irgalenn.
_ Ça fait très breton, quand même. Je savais qu’ils étaient partout mais là… »
Aroxenn et lui éclatent de rire, provoquant l’envol d’un petit groupe d’oiseaux aux plumes rouges dans le ciel étoilé.
« Et toi, qui es-tu ? Demande Yurgo une fois calmé, en regardant son ami dans les yeux.
_ Je suis Aroxenn. Je suis de ce monde.
_ Tu… euh… je ne sais pas comment poser la question sans être impoli…
_ Je suis un elfe, dit-iel calmement avec un sourire. »
Yurgo réfléchit. Un elfe.
« OK, mais… Comment tu peux être réel ici, et de la fiction dans mon monde ? demande-t-il enfin, trouvant ses mots avec difficulté.
_ Et bien, je n’en suis pas certain mais… Ce portail est certainement ouvert depuis plusieurs milliers d’années. Des ponts existent entre nos deux mondes. Par exemple, à Agosten, la langue parlée et écrite ne te semblera pas si étrangère… lui répond Aroxenn en caressant Circus, revenu se reposer près d’ellui.
_ On parle français ici ? s’étonne Yurgo.
_ Une sorte de français. Tu comprendras ce qu’on va te dire, mais certaines formulations vont peut-être te sembler vieillies ou étranges. Et ici on l’appelle l’Aguenois. »
Yurgo réfléchit en silence. Son esprit est en fusion. Le flot d’information qu’il reçoit appelle toujours plus de questions. Un elfe. Je suis dans la putain de Terre du Milieu.
« Et il y en a d’autres, des portails ? reprend-t-il après un moment de réflexion.
_ Je ne sais pas… Je ne connais que celui-là. Mais si on part de l’hypothèse qu’autour d’un portail les influences culturelles entre nos deux mondes sont plus nombreuses, il y a un peuple du grand nord qui parle un bulgare très vieilli…. Oh regarde ! »
Aroxenn se tait et lui montre l’horizon. Le ciel de la nuit mauve se teinte de rose, d’orange et de jaune, l’herbe se verdit, le feuillage des arbres s’embrase, et la lune s’efface lentement dans leur dos. Le paysage devant eux revêt un éclat merveilleux, alors qu’au delà des Monts d’Orendaël, le soleil se lève, majestueux.
« Et du coup, les bretons, ils ont amené les galettes avec le nom des bleds ? » demande Yurgo pour briser le silence.
Aroxenn se fige en le regardant les yeux brillants, un grand sourire aux lèvres.
« Tu vas tellement adorer la nourriture ! Allez viens, on va prendre le petit dej’ ! »
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