La Maison des Jeux, Claire North

La Maison des jeux, Claire North

Publiée chez Le Bélial’ dans la collection Une Heure Lumière, la trilogie La Maison des Jeux met en scène un monde où le pouvoir est joué aux dés. Claire North construit avec brio ces trois volets passionnants, qui traversent le monde et les époques sans perdre une seconde notre attention.

La Maison des jeux est un établissement secret. Elle apparaît dans toutes les époques, sur tous les continents. Tout d’abord, dans la Basse Loge se jouent des fortunes, petits amusements réguliers entre notables pour le frisson du risque. Dans la Haute Loge, les enjeux sont moins… limités. Temps de vie, mémoire, pouvoir : les joueurs sélectionnés pour ces jeux tiennent en mains le destin de peuples, d’armées, de pays entiers. Thene à Venise au XVIIème siècle, Remy Burke en Thaïlande en 1938, Argent autour du globe de nos jours, trois personnages pris dans les filets de la Maison des Jeux, et de sa mystérieuse Maîtresse.

Un engrenage complexe

La Maison des jeux, claire North, tome 1 : Le Serpent

Cela commence comme une partie d’échec. Un soir, alors que son ivrogne de mari dilapide sa fortune dans la Basse Loge, Thene, par lassitude ou par défi, accepte une partie d’échec. Une manière de reprendre le pouvoir, de n’être plus spectatrice impuissante de la déchéance dans laquelle l’entraîne son mariage arrangé. Elle perd, elle gagne, son mystérieux adversaire lui propose de jouer des informations. Aime-t-elle son mari ? « Non ». Qu’espère-t-il obtenir de Thene ? Un potentiel service futur. Elle voit une porte. Une sortie possible.

L’enjeu : sa liberté. Sortir de ce mariage arrangé qui bride la femme brillante derrière l’épouse dévouée. C’est ce que Thene joue quand elle accepte la partie de Jeu des Rois pour entrer dans la Haute Loge. Son terrain : Venise. Son roi : un notable à élire. Ses cartes : des gens, de chair et de sang, piégés ou sauvés par la Maison des Jeux.

Claire North développe un engrenage infernal, complexe, vivant. En effet, chaque personnage est un pion à déplacer ou à abattre. Cette partie se joue bien au-dessus de la foule qui devient alors la spectatrice aveugle de son propre destin. La Cité n’est qu’un plateau aux mains de demi-deux qui s’amusent avec leurs vies. La politique est un spectacle corrompu, cependant bien au-dessus de ce que la foule arrive à distinguer.

Mais quel est le prix de la victoire ? La vie d’êtres humains, comme Thene ? Seule la victoire compte, lui dit-on. Mais est-elle prête à oublier les enjeux ? Est-elle prête à s’élever au niveau de ceux pour qui la vie humaine est une tâche à peine visible sur un sol qu’ils ne touchent plus ? Le conflit qui agite l’esprit de Thene est immense, son choix est limité : il s’agit ni plus ni moins de manger, ou d’être mangée. D’être la scénariste de son destin ou simple spectatrice d’une vie écrite pour elle par sa famille et son mari.

Triche ou hasard ?

La Maison des Jeux, Claire North, Tome 2 : Le Voleur

Bangkok, 1938. Remy Burke se réveille avec la gueule de bois. La partie est truquée. On l’a piégé. Une substance dans son verre, sans doute. Mais le voilà embarqué dans une partie de cache-cache à l’enjeu vital : il joue ni plus ni moins que ses souvenirs. Pourtant ce n’est pas un bleu, cinquante ans qu’il joue dans la Haute Loge. Là il s’est fait avoir : il doit courir.

Dès le départ, il constate un déséquilibre. Ses cartes semblent ridicules par rapport à celles de son adversaire. Le jeu est-il truqué ? La Maison des Jeux accepterait un tel déséquilibre des forces ? L’enjeu est trop grand pour se laisser vaincre. Le plateau est vaste, rien de moins que la Thaïlande toute entière, mais son adversaire semble avoir des ressources infinies : il mobilise police, gouvernement, petits voyous, et semble avoir des yeux partout.

Dans ce jeu, Claire North truque ses cartes. À première vue, le jeu est guidé par le hasard. La stratégie. L’intelligence des joueurs. Mais rapidement, on aperçoit quelque chose de grippé, une fausse note, un déséquilibre. Thene obtient un Roi bien moins puissant que ses adversaires, Burke un jeu misérable alors que son adversaire mobilise le pays entier pour le retrouver. Ou est-ce seulement de la chance ? La Maîtresse des jeux brouille les pistes, et semble préparer une partie plus grande.

Le pouvoir

La Maison des Jeux, Claire North, tome 3 : La Maître

Après avoir tant joué, et assisté à tant de parties, Argent décide de défier la Maîtresse des jeux. L’enjeu ? Le contrôle de la Maison. Le pouvoir absolu. Au cours des siècles, il a observé, marchandé, obtenu des services, et a un certains nombre de cartes en mains. Des alliés. Assez pour défier celle qui semble avoir des ressources illimitées ?

Le plateau est mondial, les cartes colossales, les coups terribles, les enjeux vertigineux. Un combat de Titan dans un monde impuissant. Manipulé, si facilement… Un doigt se lève et une armée tombe. Un chuchotement un gouvernement se renverse. Un claquement de doigts et une économie s’effondre.

Finalement les personnages perdent tout principe de réalité. Ils font et défont des États, des armées, des guerres, des économies, résumées dans des litanies presque lasses par un Argent épuisé. L’immortalité n’est plus amusante – l’a-t-elle déjà été ? Cette vie n’a plus aucun sens. Quelle existence est pertinente quand elle n’a plus de limite ? Quand elle n’a plus de limite de temps, d’espace, d’influence ou de pouvoir… Alors seul le jeu compte. Et la victoire.

Mais quel sens a ce pouvoir ? Cette puissance ? Contrôler l’humanité ? Faire bien ce qu’elle ferait mal ? La guider comme on guide un troupeau, bien en sécurité dans un enclos ? Quel sens à le progrès humain s’il n’est pas choisi ? Quel sens à le pouvoir s’il n’a pas de limite ?

Un jeu des trônes

La Maison des jeux est une trilogie brillante, complexe, stimulante. Un jeu de faux semblants, de dupe, de bluff, comme une partie d’échecs ou de poker. Il est assez étonnant d’ailleurs que les trois volets ne fassent pas l’objet d’une adaptation télévisée, tant celle-ci s’écrit toute seul. Des jeux de pouvoirs, une intrigue à tiroirs, des complots, des assassinats, des nations qui s’effondrent ? De l’or en barres.

Mais au-delà de l’oeuvre à la construction implacable, Claire North interroge sur le pouvoir et ceux qui l’ont. Quand les enjeux sont si élevés, quel est la valeur d’une vie humaine ? À quelle échelle devient-on une simple statistique sur un tableau ? Peut-on encore parler de libre-arbitre quand tant de décisions sont prises hors de notre portée ? Peut-on, comme Thene, Remy Burke ou Argent, défier l’évidence du pouvoir et échapper à un destin écrit pour nous ? Enfin, si la réponse mérite ample réflexion, elle donne au moins envie de réécrire les règles.

Bonne lecture,

Viktor Salamandre

La Maison des jeux, tomes 1, 2 et 3, éditions Le Bélial’, 10,90€

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