Lectures du mois : Rentrée Littéraire

Ah, septembre. Quand on est un grand lecteur, on hésite entre ravissement et cauchemar. Tant de livres à lire, trop de livres à lire ? Comme chaque année, ce gros truc bien français de la rentrée littéraire malmène les libraires et surtout les livres, noyant sous un flot de publications souvent dispensables des romans indispensables. Je ne prétends pas avoir découvert pour vous des perles indés à aller tout de suite commander chez votre libraire, loin de là. Ce mois-ci, j’ai surtout lu sur prescription des médias et je ne le regrette pas. Pour les découvertes, on verra plus tard – avec ma libraire. Voici donc mes lectures du mois, piochées parmi les sorties de cette rentrée.

77, Marin Fouqué (Actes Sud)

Un des premiers romans de la rentrée littéraire. Un ados assis dans un abris regarde ses anciens amis monter dans le bus, et remontant ses souvenirs, observe son propre décrochage social, baigné dans le décor plat et morne de la Seine-et-Marne. Un courant de conscience (stream of consciousness) au style naïf parfois agaçant, sans paragraphe, seulement entrecoupé de la couleur des voitures qui passent devant le personnage. Roman court et assez intense, mais surtout une brillante réflexion sur les attentes de la société sur les individus, sur la virilité, sur la sexualité, sur la performance et la réussite, et son impact sur ceux qui s’y perdent.

Ici n’est plus ici, Tommy Orange (Albin-Michel)

Nouveau venu des lettres amérindiennes, Tommy Orange se place dans les pas de Sherman Alexis et Louise Erdrich, qu’il évoque dans le roman. Ici n’est plus ici est une galerie de personnages, « indiens des villes » s’interrogeant sur leur identité et la validité de leur héritage indien maintenant, dans l’Amérique d’aujourd’hui. Sans le savoir, ils sont tous liés, se sont croisés d’une manière ou d’une autre, et s’apprêtent à se retrouver à un Pow-Wow dans la ville d’Oakland.

Superbement écrit, ce roman interroge la place de l’identité amérindienne dans la société américaine, le tabou du génocide dans l’Histoire enseignée, la violence dans les représentations populaires des amérindiens dans la culture américaine, et plus loin encore, le rapport des indiens d’aujourd’hui à leur propre héritage culturel, entre redécouverte et devoir de mémoire. Une lutte contre l’effacement et la mort. Un livre magnifique, et un auteur à suivre.

Soif, Amélie Nothomb (Albin-Michel)

La Passion du Christ, à la première personne, par Amélie Nothomb, je vous avoue que de prime abord, l’idée m’a laissé songeur, sinon de marbre: je n’ai que faire de Dieu, Jésus, sa petite famille, la religion, bref, je ne suis pas amateur de bondieuseries. Je n’ai jamais été aussi ravi d’avoir tort. La plupart des critiques m’auront précédé, mais il s’agit sans doute d’un des plus grand livre de Nothomb, sinon le plus grand.

Partant du prisme du corps, le christ envisage le supplice de la crucifixion, la douleur, le plaisir, la tristesse, l’amour et la haine. Formidable réflexion à la fois théologique et philosophique, Nothomb interroge la notion de culpabilité et de pardon, l’amour, la haine de soi, dans des pages à la fois drôle et belles où son style plein de justesse délivre avec délicatesse le flot de pensées du christ en croix. Il serait dommage de passer à côté d’une telle pépite.

Propriété privée, Julia Deck (Minuit)

Les Caradec, un couple de quinquagénaires aisés, quittent leur confortable appartement loué en plein Paris pour devenir propriétaire dans un de ces nouveaux éco-quartiers qui fleurissent en proche banlieue. Tout semble alors leur convenir : leur idéal de mode de vie écolo auto-suffisant, un jardin pour le potager, de quoi se donner bonne conscience et une certaine paix loin de la ville et de son tumulte. Une petite vie communautaire en perspective, avec des voisins que l’on espère bienveillants… Une belle image ruinée en quelques jours par l’arrivée des Lecoq, petite famille envahissante qui emménage dans le pavillon mitoyen. Quelques semaines plus tard, le chat des Lecoq est assassiné.

Brillante chronique de la gentrification des banlieues, Propriété privée narre avec un humour féroce ce thriller de quartier où des bourgeois en quête d’absolution écolo se déchirent à coups de petites mesquineries malsaines, jusqu’à l’escalade tragique qui brisera irrémédiablement un verni social communautaire artificiel et ridicule. Un véritable coup de cœur !

Millénium 6: La fille qui devait mourir, David Lagercrantz (Actes Sud)

Si je devais résumer mon sentiment sur la trilogie de Lagercrantz, je dirais que ce sont de bons thrillers, mais de mauvais Millénium. Cette conclusion, tout comme les deux volets précédents, ne mérite pas plus qu’une note moyenne. Lagercrantz a voulu transformer les aventures de Lisbeth Salander en James Bond et n’a réussi qu’à pondre une version sous speed d’un épisode des « Experts : Miami », dans lequel une surdose absurde de technologie vient sauver chaque noeud d’une intrigue assez confuse et – à nouveau – opportunément tournée vers l’actualité. Ici, point de scandale de la NSA mais fake news, usines à troll russes et génocide LGBT en Tchétchénie.

Finalement, il nous est assez difficile de reconnaître les personnages, et même la Suède, tant le tout est américanisé pour en faire un thriller efficace et adaptable à tout écran. Et même si on le lit jusqu’au bout sans se lasser, on ne peut s’empêcher d’être nostalgique des trois premiers volets. Un sentiment doux-amer nous prend à la dernière page, conclusion d’une saga qui aura marqué l’Histoire des littératures policières, au moins pour sa trilogie initiale: cela valait-il vraiment le coup ?

***

ET VOILÀ, ce sera tout pour ce mois-ci. Dans ma pile à lire du mois d’octobre du très lourd: la dernière pépite de Joyce Carol Oates, la suite tant attendue de La Servante Écarlate, le dernier Stephen King, et Le bruit des tuiles, de Thomas Giraud (éditions La Contre Allée). Et n’oubliez pas: rendez-vous chez votre libraire indépendant !

BONUS –

Le groupe Islandais Hatari, après leur scandale à l’eurovision, s’associent avec le chanteur queer palestinien Bashar Murad pour un titre en islandais et en arabe.

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