Immersion terrifiante dans un programme dédié à la beauté des femmes, Re:Start explore sans complaisance les liens étroits entre les injonctions patriarcales et le capitalisme qui les transforme en profit. Katia Lanero Zamora signe un sans faute choc qui pourrait être aisément le meilleur épisode de Black Mirror que vous ne verrez jamais. Alors… Lisez-le ?
« Sûre de la seconde chance qui m’est accordée, je prête serment devant la Communauté comme témoin.
Mon corps est un temple, ma féminité, sacrée. Je jure de respecter, d’honorer, de sanctifier ce que j’ai délaissé, ce que j’ai dégradé. Pour mon bien et pour le bien de toutes, je m’engage à faire le chemin vers la meilleure version de moi-même, mon unique horizon. À prendre le contrôle sur ma nature décadente et à combattre mes instincts.
Mon corps est sacré et je suis une déesse. »
Serment des Lumineuses, extrait de Re:Start, de Katia Lanero Zamora, éditions Argyll
Féminité
Règle n°4: La beauté est un travail de chaque instant

Mona est une Semeuse. Au sein du village communautaire Re:Start, dédié à la beauté des femmes, elle a gravi un à un tous les échelons. Son corps est sacré et elle est une déesse. Parmi les Lumineuses, elle est respectée. Elle a même gagné la confiance de leur mentore et modèle, Geneviève, fondatrice de l’entr… de la communauté Re:Start. Grâce à la technologie, au sport et à des pilules minceur, les Lumineuses reprennent le contrôle de leur vie.
Vraiment ?
Un jour, Calliste, sa meilleure amie, devant le refus de Shannon, l’IA qui contrôle leur environnement et leur programme, de la laisser manger, perd pieds. Je n’en dirai pas plus, la scène est violente, et révèle dès les premières pages l’ampleur de la souffrance dissimulée derrière le self-care un chouïa oppressant asséné par l’entreprise. Derrière le soin, l’injonction. L’injonction à la beauté (une certaine forme de beauté), à la minceur (on y vient), au contrôle alimentaire. Tout doit être mesuré, pesé… Contrôlé.
Voilà ce qu’est la féminité à Re:Start : le contrôle. L’illusion de pouvoir se façonner une image qui nous plaît. On commence par des pilules minceurs, des réunions, un programme sportif. Puis on intègre le village Re:Start, et d’autres options s’offrent : vie en bungalow, contrôle par IA de l’alimentation et du suivi du programme, chirurgie esthétique lourde. Très vite, on constate que le soin n’est pas ici dédié au bien-être et à l’émancipation féminine, mais à l’injonction patriarcale et au façonnage du corps des femmes selon des normes globalement inatteignables. Mais dans quel but ? Et pour servir qui ?
Communauté
Règle n°7: se regarder sans complaisance
Évidemment ce qui saute aux yeux, c’est l’aspect sectaire de cette communauté. Y trouvons-nous une gourou charismatique ? Oui, la mentore Geneviève, fondatrice de l’organisation. Les membres sont-elles isolées de leurs familles et de leurs proches ? Bien entendu, la communauté et le village sont là pour remplacer ces besoins. Sont-elles mises dans une insécurité financière par le mouvement ? Oui : elles achètent les produits, mais les vendent également (tiens, tiens…), et deviennent peu à peu matériellement dépendantes de l’organisation. Leur équilibre mental est-il mis en danger ? Le prologue répond par l’affirmative à cette question.
Le piège est dans le flou. La promesse initiale du mouvement est une sorte de dernière chance. Re:Start vise celles qui ont tout essayé pour se conformer aux attentes du patriarcat concernant leur corps. Régimes miracles, sport intensif, privation… C’est dans la frustration et dans la solitude qu’apparaît Re:Start, qui promet une communauté de sœurs quand les proches ne comprennent pas, qui promet la réussite là où il n’y a eu que des échecs, qui promet une renaissance là où la vie semblait un cul-de-sac. Vous êtes une déesse, et votre corps est un temple.
Mais cette communauté ne sera pas un havre de complaisance. Le regard est lourd. Et celui des autres est présenté comme un outil pour s’améliorer, pour progresser, pour se discipliner. La culpabilisation n’a pas disparue, elle s’est simplement diluée dans une illusion de sororité. Illusion parce qu’évidemment, comme tout mouvement sectaire, celui-ci a des paliers. Des paliers qui renforcent progressivement l’emprise mentale et la dépendance financière, des paliers qui instaurent une compétition au sein de la sororité. Des paliers connus, et un palier secret : le « Golden Stage », dont Mona découvre l’existence dans les affaires de son amie Calliste…
Progrès
Règle n°2: s’en tenir au programme
Que serait le patriarcat sans la compétition et le capitalisme ? Maintenant qu’on a établi que Re:Start est bien un mouvement sectaire, il faut en analyser le business plan. Et celui-ci n’est pas très obscur : il s’agit d’une bonne vieille entreprise de marketing de réseaux, ou Multi-Level Marketing company en anglais, abrégé souvent en MLM. Si Re:Start paraît dystopique et exagéré, il l’est à la manière des meilleurs épisodes de la série Black Mirror : le modèle de base existe, il est même très courant, l’autrice a simplement poussé certains curseurs pour en révéler l’horreur.
Comme Re:Start, les MLM s’adressent souvent aux femmes. Selon les sources, les personnes impliquées dans de telles entreprises sont entre soixante-dix et quatre-vingt pour-cent des femmes. Pourquoi ? Parce que le patriarcat s’y cache : injonction à prendre soin de soi et de son corps (d’une certaine manière), injonction à des normes de beautés patriarcales (minceur, beaux cheveux soyeux, peau lisse et douce…), le tout à travers la vente de produits de beauté destinées aux femmes, saupoudrez le tout de féminin sacré et d’une illusion de sororité : le résultat paraît soudainement peu surprenant. Et tout comme dans la réalité, la vraie tête du mouvement est, bien entendu, un homme. Un homme qui investit, et capte la richesse produite par des femmes qui travaillent en ayant l’impression de faire tout ça pour leur bien-être.
Vous l’aurez compris : le patriarcat et le capitalisme ici se nourrissent et se renforcent l’un et l’autre. L’un et l’autre avancent par la compétition et la soumission, au profit d’une certaine classe. Ici, et comme dans pas mal de MLM, au profit d’un seul homme qui jouit d’un pouvoir sans limite sur le destin de ces femmes, qui ne sont vues que comme des fourmis ouvrières. Ici comme dans la réalité, la décision d’un homme peut tout faire s’effondrer pour ces femmes, qui ont pourtant tout donné à l’entreprise, et qui dépendent d’elle pour survivre. Patriarcat, capitalisme, main dans la main.
Je ne vais pas vous mentir, cette lecture est un choc, et l’avertissement présent au début et à la fin du livre n’est pas à prendre à la légère. En une centaine de page, Re:Start est un concentré d’injonctions patriarcales. On y parle de troubles du comportement alimentaire, de dysmorphophobie, on y voit des comportements violents allant jusqu’au cannibalisme. Et cette lecture est d’autant plus un choc qu’elle est réaliste. Si on ignore certains éléments du décor (et encore…), tout le reste existe. Les injonctions sont réelles, le modèle d’entreprise également, les compléments alimentaires, l’emprise sectaire, jusqu’à l’IA qui va sans doute bientôt contrôler l’ouverture de votre frigo : tout cela existe. Et Re:Start est une totale réussite exactement pour cette raison. Une fois la lecture terminée, il suffit d’ouvrir les yeux pour y replonger.
Re:Start, Katia Lanero Zamora, éditions Argyll,
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