Exploration en profondeur d’une fascinante cité lunaire, Célestopol 1922 et son univers steampunk se ballade joyeusement dans l’uchronie et à travers les genres. En treize récits, Emmanuel Chastellière nous emmène sous le dôme à la rencontre de ses habitants, et de leurs aspirations.

Des nouvelles ? DES NOUVELLES ?

Je l’ai déjà écrit ici, j’aime énormément la forme courte. Et pourtant, la nouvelle en France n’est pas une forme très populaire. Quand j’étais encore libraire, et pour une raison qui m’échappe encore, il était plutôt compliqué de conseiller et de vendre des recueils de nouvelles. Le refus se faisait souvent sans explication, avec une moue dubitative et un haussement d’épaules. Si vous faites partie de ce lectorat, laissez-moi au moins une chance de vous convaincre, celui-ci pourrait bien vous emporter.

Je comprends, dans un sens, que certains lecteurs aiment être plongés dans une histoire, un univers, avec les mêmes personnages, pour un temps plus long. Dans un roman, on nous laisse le temps de nous acclimater, d’apprendre à connaître l’univers et les personnages. La trame narrative a plus de place pour se déployer, à la fois pour se complexifier, mais aussi, tout simplement, pour prendre le temps de se perdre en route sur des chemins de traverse. L’erreur, c’est de croire qu’une telle démarche est impossible avec un recueil de nouvelles. Et réjouissez-vous, j’en ai l’exemple parfait aujourd’hui.

Le voyage dans la lune

Célestopol 1922 est un recueil de treize nouvelles se déroulant au sein de la cité lunaire de Célestopol. C’est le deuxième recueil qu’Emmanuel Chastellière (auteur du très réussi Himilce, que je vous avais conseillé ici) consacre à cette ville fascinante, et il est parfaitement possible de lire celui-ci sans avoir lu le premier (que je n’ai pas encore lu mais que je lirai). Comme son titre l’indique, on est en 1922, donc dans une uchronie où l’humanité a déjà franchi la frontière spatiale et conquis la lune. La Russie y a découvert le Sélénium, élément qui lui permet un bond technologique et, entre autres, de mater la révolution de 1917 (qui n’a donc pas eu lieu). Dans cet univers steampunk qui, oui bien sûr, peut rappeler Jules Verne, ces treize récits nous emmènent à la rencontre des habitants de Célestopol pour explorer en profondeur la cité lunaire, la vie qui y palpite, ses complots et ses mystères.

Ainsi, tout ce que vous trouvez dans un roman, vous le trouverez ici. Vous aimez vous plonger longuement dans un univers dépaysant ? Vous aimerez parcourir les méandres de Célestopol (la sublime carte dessinée par Olivier Sanfilipo vous aidera certainement), ses différents quartiers, ses ruelles, ses palais, ses canaux ambrés. Vous aimez les intrigues complexes, les méandres narratifs et vous perdre dans des chemins de traverse ? Vous aimerez vous plonger dans ces récits qui s’entrecroisent, découvrir ces personnages qui passent et repassent au fil des histoires, tissant des liens entre les intrigues, formant un tableau plus complexe, et plus cohérent.

Steampunk pour lecteur indécis

Cependant, vous serez surpris d’y trouver également une richesse et une diversité des genres qu’un roman peut difficilement vous apporter. Vous y croiserez des figures historiques telles que Howard Carter ou Marie Curie, du fantastique horrifique, de la science fiction, de belles histoires d’amours, de la fiction politique et sociale, tout cela au sein d’un univers steampunk fascinant qui questionne, en creux, notre propre rapport au pouvoir et à la technologie.

Célestopol est à la fois symbole de technologie et de pouvoir. Technologie dont elle est la première bénéficiaire, et qui lui donne cette liberté de s’émanciper, à la fois de la mère Russie et de la planète Terre. De tracer son propre destin, hors de portée, indépendante. Elle est cette insolente étincelle dans le ciel terrestre, qui brille seule au dessus du monde. Ainsi, la cité lunaire peut aussi paraître comme la possibilité d’un nouveau départ. Un nouveau Nouveau Monde, une autre Amérique, un nouveau continent. Comme si l’horizon de l’humanité s’était soudain ouvert. Qu’est-ce qui attire les gens à Célestopol ? Quels espoirs les motive à s’exiler sur la lune ? Une nouvelle vie ? Une autre chance ? La fuite ? Cette question parcourt les pages de ce livre à travers le destin de ses personnages, de leurs aspirations, de leurs espoirs, parfois déçus.

Célestopol 1922 est à la fois un rêve de gosse, et un fantasme de nerd. Emmanuel Chastellière va décrocher la lune en explorant les genres avec un enthousiasme communicatif. Une présence inquiétante hante les tunnels sombre d’un métro désaffecté, de mystérieuses ruines lunaires obsèdent un Howard Carter qui n’a jamais découvert le trésor de Toutânkhamon, des automates conscients cherchent à obtenir des droits, des ouvriers en lutte pour de meilleurs salaires tentent de trouver une solution politique… Le ton varie, les genres aussi, mais Célestopol est le fil rouge. Cette ville, ses quartiers, ses habitants, ses espoirs et ses inquiétudes. À la fois si puissante et si fragile sous son dôme, bulle de vie sur un astre mort et désertique. À la fin de ces treize récits, on demande à s’y perdre à nouveau, à en explorer chaque recoin, à en connaître toutes les strates, avec l’espoir secret que ses mystères soient infinis.

Célestopol 1922, Emmanuel Chastellière, édition l’Homme Sans Nom, 21,90€ / édition Folio, 11,10€