Lectures du printemps : la vie, la mort, le deuil

La vie, la mort, le deuil. L’amour. Figures imposées de la littérature, ces notions provoquent tous les questionnements. Le but de la vie ? Laisser une trace ? L’héritage ? La famille ? L’angoisse est permanente, sourde ou puissante selon la période de votre vie. Et justement, les héros de ces deux très beaux romans se voient à la croisée des chemins, confrontés au plus sombre des miroirs.

La vie n’aurait de sens que si elle a une fin, dit-on. Mais quel sens ? Ne sommes-nous justement pas que de passage, par hasard, bombardé sans raison sur un caillou vaguement habitable au sein de l’immensité de l’univers ? Est-ce que ce qu’on appelle la vie, n’est pas trop grand pour nous ? Au fil des siècles, plus que de découvrir l’origine de la vie et le sens du monde, nous nous sommes fabriqués des excuses, des prétextes, des raisons de vivre clés-en-mains, dont nous tentons tous les jours de nous persuader de la pertinence. Le travail. L’amour. L’argent. La famille. Laisser une trace… Comme si le but de notre vie était de perdurer, par la procréation ou l’immortalité, laisser une trace, griffer ce gros caillou de nos petits ongles ridicules et désespérés, signer notre passage comme si l’univers, le monde ou même la mère du voisin en avait quelque chose à faire.

La mort, le deuil, l’amour, ces événements et sentiments brutaux nous confrontent à la réalité de notre finitude. Nos ongles n’y pourront rien, nous partirons. Nous disparaîtrons. Seul le hasard fera perdurer notre trace, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, et nous ne contrôlerons de notre héritage que les choses futiles, objets, argent, poussières que nous lèguerons malgré nous à des créatures mi-tristes mi-indifférentes qui réduiront notre mémoire à un vase, un cadre ou un bout de maison morte. L’héritage est une impasse. La mort, le deuil, l’amour, trois occasions de nous rappeler que la vie n’a pas de but, que le jour a une fin, et que le chemin est court.

Zero K, Don DeLillo

couverture de Zéro K de Don DeLillo

Ross Lockhart, milliardaire, invite son fils Jeffrey, avec qui il a une relation compliquée, à assister aux derniers instants de sa femme Artis, malade. Cette dernière a décidé de faire cryogéniser son corps afin de pouvoir renaître dans un futur où l’on aurait vaincu la maladie et la mort. Durant ces quelques jours étranges, dans ce grand bâtiment sans fenêtre construit au beau milieu d’un désert entre le Kirghizistan et le Kazakhstan, Jeffrey tente de digérer la nouvelle, de comprendre l’état de sa relation avec son père, et se demande, au fond, comment faire son deuil d’une mort qui n’en est pas une ? Mais isolé du monde extérieur dans ce bunker futuriste, bombardé par des images d’horreurs et de violences projeté sur des écrans sur les murs de grands halls déserts, déambulant dans ces longs couloirs vides, il perd peu à peu ses repères, et ce séjour tourne au voyage intérieur.

Don DeLillo, auteur de Cosmopolis et d’Underworld, signe un roman étrange, entre la chronique contemporaine des obsessions occidentales, le récit d’initiation philosophique et l’anticipation. Avec sa plume élégante et précise il décrit parfaitement la vie d’un homme d’aujourd’hui dans notre société occidentale, son rapport à l’argent, au travail, à la famille, et à la mort. Parce que la grande faucheuse est le grand point d’interrogation au centre de ce roman, catalyseur incontournable des questionnements de Jeffrey : son rapport au père, à son argent, à l’héritage, au travail, à sa belle-mère, à sa place dans le monde et à la trace qu’il y laissera (ou pas). Face à la terrible décision de son père de suivre Artis dans la cryogénie, l’esprit de Jeffrey est au bord d’un gouffre plein de questions.

Zéro K est un court roman, contemplatif, hanté. Un livre mince et étrange qui vous restera longtemps en tête après l’avoir refermé, comme une question persistante que vous n’arriveriez pas à formuler.

Zéro K, Don DeLillo, éditions Babel, 8,70€

La ballade de l’impossible, Haruki Murakami

couverture de la ballade de l'impossible de Haruki Murakami

Lors d’un voyage, la chanson « Norwegian Wood » des Beatles plonge Watanabe dans ses souvenirs d’étudiants, à la fin des années 60 au Japon. Il se souvient de son amour de lycée, Naoko, de la perte de son meilleur ami, Kizuki, qui s’est suicidé, de sa rencontre avec Midori, jeune fille torturée qui combat ses névroses en mordant la vie à pleines dents. Entre les deuils, les victoires, les hontes, les rencontres, les défaites, Watanabe raconte le récit touchant de sa « ballade de l’impossible », de son passage tortueux de l’adolescence à l’âge adulte.

Convoquant Fitzgerald, Salinger et les Beatles, Murakami livre un roman initiatique touchant et poétique sur la jeunesse, au beau milieu des bouleversements sociaux qui ont touché le monde à la fin des années 60. Watanabe confie au fil des pages sa relative indifférence aux révoltes étudiantes, lui-même trop préoccupé par le flou de son propre avenir, embourbé dans des études qu’il a choisies par défaut, faute de trouver un quelconque intérêt supérieur à un quelconque domaine universitaire. Dans sa tête, dans le flou, entre deux lectures de Fitzgerald, l’obsèdent des questions : la légitimité de son amour pour Naoko, les raisons du suicide de son meilleur ami, les sentiments confus qu’il entretient pour Midori.

De la découverte de l’amour et de la sexualité au suicide et au deuil, Murakami ne s’embarrasse d’aucun tabou, mais touche par sa délicatesse de sa plume, évoquant avec justesse les interrogations constantes d’une jeunesse en plein bouleversement. Un roman culte, un incontournable dans l’œuvre de ce très grand écrivain.

La ballade de l’impossible, Haruki Murakami, éditions 10/18, 8,40€

Bonne lecture

Viktor Salamandre

« I’m with you to forget my loneliness »

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