Après la débâcle en Iowa, le New Hampshire semblait un scrutin plus calme. Dans « l’État du granite », point de caucus aux règles opaques, peu de triche possible, un bon vieux vote à bulletin secret – la démocratie, en somme. Alors qu’il avait largement gagné l’État en 2016 face à la seule Hillary Clinton, la bataille s’annonçait plus difficile pour Bernie Sanders, dans une primaire où il faisait face à neuf autres candidats. Dans le lot: un Pete Buttigieg choyé par les médias et tristement couronné d’une victoire Trumpienne en Iowa – il gagne une majorité de délégués, mais perd le vote populaire. Malgré cela, Bernie Sanders l’emporte une nouvelle fois avec une participation en hausse comparable à 2008. Mais après cette victoire, le reste de la course reste ouvert, avec en embuscade un Michael Bloomberg qui semble bien décidé à se payer la nomination. Décryptage et Analyse.
Sanders l’emporte, Klobuchar surprend
Avec une victoire plus serrée que prévue, mais claire, Sanders remporte cette primaire du New Hampshire pour la deuxième fois. Avec quatre mille voix d’avance sur Pete Buttigieg, qui a bénéficié d’un boost médiatique après sa victoire auto-proclamée la semaine passée en Iowa, Sanders confirme sa première place dans la compétition, et affiche sa constance dans une course où il a été largement sous-estimée, notamment par des médias qui, l’année dernière, pariait sur un abandon « avant l’été », puis sur une série de défaites cuisantes « à un chiffre ». Cette semaine, quand le commentateur politique Chris Matthews se demandait sur MSNBC si Sanders n’allait pas demander, une fois élu, l’exécution de ses opposants à Central Park, sur NBC News, le journaliste Chuck Todd relayait avec complaisance un tweet comparant les supporters du candidat aux « chemises brunes », commentaire d’une particulière indécence quand on parle d’un candidat juif dont une partie de la famille a été éradiquée par les nazis.
Quand Chris Matthews se demande sur MSNBC si Bernie Sanders ordonnera des exécutions publiques dans Central Park, sur NBC News Chuck Todd relaie avec complaisance un tweet comparant les soutiens du candidats aux « chemises brunes ».
Malgré cette couverture médiatique désastreuse, Une nouvelle fois, Sanders termine en tête. Et un coup d’oeil au sondage sortie des urnes de CNN confirme l’efficacité d’une stratégie qui cherche à toucher les minorités, les jeunes et les classes populaires. Alors que la participation est en hausse par rapport à 2016 dans une primaire qui connaît presque 20% de nouveaux votants, Sanders est en tête, entre autres, des électeurs non-blancs (particulièrement de l’électorat latino), des moins de 44 ans (avec un pic sur les 18-29 ans), et des électeurs les plus modestes. Un des enjeux de cet État était l’électorat indépendant . Ils étaient 45% à voter pour cette primaire et placent Sanders en tête.

Autre victoire pour Sanders, probablement la plus importante, c’est sur le plan idéologique qu’il l’emporte. En effet, 60% des votants interrogés se disent pour un système de santé publique contre le système privé actuel, 68% pour la gratuité des universités publiques. Cela confirme une tendance nationale: depuis 2016, les idées de Sanders deviennent largement populaire, non seulement au sein de l’électorat démocrate mais aussi des indépendants et convainc également une part non négligeable de l’électorat républicain. Ce n’est pas un hasard: le rajeunissement de l’électorat est en marche avec une nouvelle génération largement plus progressiste, et plus mobilisée: pour les élections de mi-mandat, les moins de 44 ans ont été plus nombreux à voter que les plus de 50 ans, une première aux Etats-Unis.
Autre victoire pour Sanders: 60% des votants se prononcent pour Medicare pour tous, 68% pour la gratuité des universités publiques.
Buttigieg aura réussi son coup. Autoproclamé gagnant du caucus de l’Iowa alors qu’aucun résultat n’était encore publié, il aura bénéficié de la complaisance des médias qui, en dépit de ses six mille voix de retard, ont décidé d’en faire le vainqueur. La semaine suivant sa fausse victoire, il enregistre un bond de 9 à 12 points dans des sondages où il commençait à doucement couler. Alors que sa campagne a investi des millions dans les deux premiers états de ces primaires, ce coup de pouce des médias est arrivé à point nommé. Le voilà donc pointer à la deuxième place, avec tout de même quatre mille voix de retard sur Sanders. Un bon résultat cependant après une prestation assez médiocre au dernier débat télévisé, où pour la première fois il a du faire face à des questions offensives des journalistes sur les inégalités raciales face à la police qui entache son bilan à la tête de la ville de South Bend, Indiana. Coup de chance: le New Hampshire est un État blanc, il retrouve donc sans surprise son électorat blanc, éduqué, aisé, plutôt âgé entre 44 et 65 ans.

Celle qui crée la surprise, c’est Amy Klobuchar. Arrivée en cinquième place derrière Joe Biden en Iowa, la sénatrice du Minnesota surgit en troisième position, boostée par une excellente prestation au dernier débat où elle s’est montrée combative et offensive. Si certains pensent qu’elle a coûté la victoire à Buttigieg, un regard plus attentif sur les sondages de sortie des urnes fait surgir une hypothèse plus probable: en se plaçant en tête des plus de 65 ans, elle vampirise l’électorat de Joe Biden, et sans doute celui d’Elizabeth Warren, qui s’effondrent tout deux sous la barre des 10%. Warren partage avec Buttigieg et Klobuchar un même électorat libéral, plutôt aisé, éduqué, qui se cherche un champion pour battre Trump, mais pas forcément en accord avec leurs idées. Ainsi, les électeurs de Buttigieg et Klobuchar se sont décidés de leur vote plutôt récemment (dans le dernier mois / les derniers jours), influencés par la couverture médiatique et le débat télévisé.

En dessous de 15%, aucun candidat n’a de délégué. Et alors que les derniers sondages accordaient à Warren et Biden un score aux alentours de 12%, c’est à 9 et 8% qu’ils chutent, un résultat catastrophique, mais pas vraiment surprenant.
Warren, qui a enregistré un score moyen en Iowa, n’a pas brillé lors du dernier débat, qui est pourtant décisif. Elle a été effacée par Amy Klobuchar, qui est l’autre candidate soutenue par le New York Times. Biden, lui, n’a jamais vraiment brillé en débat, cependant, jusque là, il ne semblait pas en souffrir dans les sondages. Mais il devient clair que sa campagne paresseuse n’a réussi jusque là qu’à s’agréger un soutien « par défaut », basé sur l’image rassurante d’un ancien vice président, ami d’Obama, par l’expérience et par l’idée – à mon avis bien superficielle – de sa supposée supériorité électorale face à Trump. En Iowa, son électorat ne s’est pas déplacé, et il semble que s’il s’est déplacé cette fois-ci, c’est pour voter Amy Klobuchar.
Biden paye une stratégie uniquement basée sur son image rassurante d’ancien vice-président, mais qui n’aura réussi qu’a s’agréger un soutien « par défaut » jusque là insuffisant.
Enfin il faut noter l’abandon de trois candidats. Et si Michael Bennet et Deval Patrick ne manqueront pas à grand monde tant il sont passés sous les radars, la candidature d’Andrew Yang manquera certainement dans la course. L’entrepreneur de 45 ans avait marqué le débat démocrate avec sa proposition d’un Revenu de base de 1000$. Alors que l’idée était au début largement moquée, il sort de la course en ayant rassemblé derrière lui un mouvement jeune et plutôt progressiste, qui peut être amené à rallier Bernie Sanders dans les prochaines semaines.
Une course ouverte, des victoires en trompe-l’oeil
La course reste ouverte. Mais le parti semble toujours se chercher une alternative à Sanders. Et s’ils tentent par tous les moyens de minimiser sa victoire, à ce jour aucun candidat « modéré » ne semble faire l’unanimité.
Sanders dit-on a atteint le plafond de verre, mais est-ce vraiment le cas ? Il vient de gagner le vote populaire de deux États plutôt blancs et vieillissant alors que sa base est plus diverse et plus jeune: le meilleurs pourrait bien être à venir pour le sénateur socialiste du Vermont. Les derniers sondages le placent, au niveau national, entre 4 et 10% devant Joe Biden, qui s’effondre. Il a ainsi pris la tête de la moyenne RCP pour la première fois depuis son entrée en campagne. Selon le sondage Morning Consult il est également en tête des intentions de vote pour le super tuesday (le 3 mars prochain). Il est notamment sondé très haut en Californie, État le plus peuplé du pays et celui qui apporte le plus de délégués.

Le vrai test pour les candidats semble être le Nevada et la Caroline du Sud. Avec des populations plus diverses, latino et afro-américaines, mais également plus jeunes, ces deux États vont mettre à l’épreuve plusieurs candidats. Sanders va devoir prouver la viabilité de sa stratégie auprès des minorités et de l’électorat latino. Si le Nevada reste un mystère – le fonctionnement de ce caucus, assez opaque, ne permet pas de sonder correctement cet État – la principale difficulté que va y rencontrer le candidat progressiste semble être les directions syndicales, très attachées au système de santé privé. Dans un mode de scrutin public, il sera difficile pour la base syndicale d’afficher leur désaccord avec leur direction. En Caroline du Sud, même s’il n’est pas indispensable qu’il termine premier, Bernie Sanders va devoir faire un bon score, et prouver qu’il peut toucher l’électorat afro-américain.
Au Nevada, la principale difficulté à surmonter pour Bernie Sanders sera les directions syndicales, très puissantes et attachées au système de santé privé.
Buttigieg et Klobuchar semblent en grande difficulté: en ayant échoué durant toute la campagne à rassembler un soutien décent dans l’électorat non-blanc, et en particulier afro-américain, leurs bons score dans les deux premiers États ne semblent pas pouvoir changer quoi que ce soit à leur déconfiture à venir. Les sondages nationaux, d’ailleurs, tout comme ceux du super tuesday, ne leur accordent pas, depuis l’Iowa, un sursaut significatif. C’était pourtant la stratégie de Buttigieg: sortir victorieux des deux premiers États dans l’espoir de voir arriver le vote afro-américain – selon les dernières enquête d’opinion, tout indique que cette stratégie a échoué.
Biden, en revanche, mise tout sur la Caroline du Sud. Il s’y est rendu avant même de connaître les premières tendance du vote au New Hampshire, et à ouvertement appelé les communautés afro-américaines et latino à se mobiliser derrière lui – cela semble, à ce stade, sa seule planche de salut. Il est néanmoins en grande difficulté et rien ne garantie qu’une victoire en Caroline du Sud sonne la fin de ses ennuis électoraux: il lui manque un clair élan, et ne part désormais plus favori du super tuesday. Les derniers sondages enregistrent d’ailleurs une chute de près de 20% pour Biden dans l’électorat afro-américain.
Biden, en difficulté, mise tout sur la Caroline du Sud, mais voit le soutien de l’électorat afro-américain à sa candidature chuter d’environ 20% dans les derniers sondages.
Warren, elle, semble choisir de faire l’impasse sur les deux États et de se concentrer sur le super tuesday. Sa campagne vient en effet d’annuler des réservations de spots télévisés dans le Nevada et la Caroline du Sud. Si un tel geste peut faire penser à un proche abandon, ses finances sont plutôt bonnes et elle a beaucoup investi en Californie, où elle est sondée deuxième devant Joe Biden.
Cependant, il faudra compter sur Tom Steyer, qui a passé l’essentiel de la campagne ces derniers mois dans ces deux États, et beaucoup investi en publicité – près de 180 millions de dollars à travers le pays. Il est même sondé assez haut et pourrait faire figure d’outsider – sans réel avenir dans la course.
Pour le super tuesday, Bloomberg en embuscade
Mais la principale inconnue de la suite de la course, c’est Bloomberg. Ploutocrate républicain, ancien maire de New York City, ayant financé et soutenu la campagne de réélection de George W. Bush, celle de John McCain ainsi que la campagne républicaine de mi-mandat en 2018, la neuvième fortune mondiale s’est découvert récemment un engagement au parti démocrate. Et comme tout oligarque qui se respecte, c’est en sortant son carnet de chèque qu’il compte s’y assoir.
Neuvième fortune mondiale, Michael Bloomberg finançait encore le parti républicain pas plus tard qu’en 2018, pour la campagne des élections de mi-mandat.
Les chiffres sont faramineux, le sentiment nauséabond. Depuis novembre, c’est plus de 350 millions de dollars qui sont passés en spots tv à travers le pays. Il est partout: sur chaque vidéo youtube, dans les résultats google, sur les chaînes de télévisions locales… Bloomberg jette négligemment de l’argent par les fenêtres, sans compter, et aurait prévu de dépenser entre 1 et 2 milliards dans sa campagne. Du jamais vu dans une campagne électorale.
Mais ses dépenses ne s’arrêtent pas à la classique campagne de spots télévisés. Alors même qu’il ne fait lui même pas campagne – peu d’interviews, pas de meetings, et jusque là pas de débat – il s’achète des influenceurs pour toucher les jeunes, achète des mots clés sur google (tels que « climate change »), débauche le staff de campagne des autres candidats à travers tout le pays en doublant ou triplant les salaires et en garantissant un job jusqu’en novembre. Dans le grand sud, certaines campagnes n’arrivent même plus à embaucher tellement Bloomberg a acheté tout le personnel disponible.
Bloomberg, qui a prévu de dépenser entre un et deux milliards de dollars dans la campagne, débauche le personnel de campagne des autres candidats à travers tout le pays, en doublant les salaires et en garantissant un job jusqu’en Novembre.
Et malgré cette débauche indécente de moyens, qu’en est-il réellement de ses chances ? s’il surgit indéniablement dans les sondages nationaux jusqu’à talonner Joe Biden, en l’absence de réelle campagne, n’est-il pas trop tôt pour avoir une idée plus précise de la menace ? Car ce que l’on peut affirmer, c’est que sa popularité semble bien fragile, uniquement basée sur une puissante campagne de spots tv, qu’en sera-t-il quand, en débat, il va se voir rappeler ses propos racistes, ses nombreux soutiens aux campagnes républicaines, son bilan désastreux à la mairie de New York sur la pauvreté, le logement et les inégalités raciales ?
Et si sa présence semble adoubée par les plus grandes instances du parti démocrate – acheté, lui aussi, afin de changer les règles d’admission aux prochains débats télévisés – n’est-il pas pour l’establishment un dangereux coup de poker ? Si après trois années à jouer les gardiens de la morales face à un Trump en roues libres le parti démocrate lui oppose un oligarque sans loyauté ni allégeance qui se sera payé la nomination, quelle campagne mener, quand Trump ne manquera pas de souligner – encore une fois – la corruption des démocrates ?
rédaction : Oskar Kermann Cyrus
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