Son nom est sur toutes les lèvres, ou presque. Car si l’entrée en campagne du milliardaire Michael Bloomberg a fait les gros titres un peu partout dans le monde, les derniers sondages le créditent au plus haut de 6% des voix démocrates. Ça ne l’empêche pas pour autant de dépenser des fortunes dans sa campagne: en plus de l’achat de mots-clés sur Google, il a déjà dépensé plus de 30 millions de dollars en spots télévisés. Si ses motivations réelles restent floues, certaines voix s’élèvent contre l’indécence d’une telle démarche. Dans un récent entretien pour la web TV The Young Turk, Bill de Blasio, actuel maire de la ville de New York, accuse son prédécesseur de vouloir « acheter sa place » dans les primaires démocrates afin de « consolider le status quo ».
Le conte des deux cités
Sa candidature a fait le bonheur des publications financière, mais c’est peu dire qu’elle aura provoqué quelques haussements de sourcils circonspects. Celui qui se vante de son action dans des spots télévisés chèrement diffusés à coups de dizaines de millions de dollars dans tout le pays n’est pas très apprécié des démocrates au sein de la ville qu’il a dirigé pendant douze ans, New York City. Bill de Blasio, l’actuel maire de la ville, doit même son élection à une féroce campagne contre l’accroissement des inégalités sous la mandature de Michael Bloomberg sur le thème « Le conte des deux villes ».
Référence au célèbre roman de Dickens, mais aussi au célèbre discours de l’ancien gouverneur démocrate de l’État de New York Mario Cuomo en 1984, dénonçant le bilan de Reagan et l’accroissement des inégalités dans tout le pays, ce thème de campagne propulse Bill de Blasio à la tête de la ville avec plus de 73% des voix. Il promet notamment une augmentation des taxes sur les hauts revenus pour financer d’important programmes d’éducation, s’oppose également aux « charter schools », ces écoles à gestion privée mais financement public, il fait campagne pour un contrôle des loyers et une politique du logement plus égalitaire afin de lutter contre la gentrification des quartiers les plus pauvres.
» Après la grande récession de 2008, il est allé à Goldman Sachs pour leur donner un pep talk «
Bill de Blasio, maire de New York City
Aujourd’hui encore, Bill de Blasio dresse un bilan sévère de la politique Bloomberg: « Il a beaucoup aidé les propriétaires (…) Sur le logement et les loyers, en six ans, j’ai du défaire ce qu’il a fait en 12 ans. » Plus loin encore, il dénonce une déconnexion totale de Bloomberg vis à vis des effets de la grande récession de 2008: « Pour lui c’est comme si la grande récession n’avait pas existé. (…) Nous nous sommes battus pour une augmentation du revenu minimum, il s’y est opposé, nous nous sommes battus pour des congés maladie payés pour les travailleurs, il s’y est opposé. Après la grande récession de 2008, il est allé à Goldman Sachs pour leur donner un pep talk ». Et quand le journaliste Cenk Uygur lui fait remarquer que Bloomberg se vante, dans son spot tv, de son bilan sur les sans-abris, de Blasio s’agace: « La plus grande augmentation du nombre de sans-abris à New York City a été pendant son mandat. »

Michael le démocrate, Bloomberg le républicain
De fait, la candidature Bloomberg pour la nomination démocrate a fait s’étouffer plus d’un membre du parti. Pour pas mal de démocrates Bloomberg est plus connu pour ses importantes donations aux campagnes républicaines que pour sa loyauté et son activisme. Son soutien à la réélection de Bush en 2004, pour lequel il donne un discours passionné à la convention républicaine, ses donations à la campagne McCain en 2008 et de nombreux financements de campagnes républicaines dans tout le pays en font difficilement un allié de longue date pour un parti qui cherche à reconquérir le pouvoir.
» Il s’est présenté comme un Républicain, et par bien des aspects, il a agi comme un Républicain. »
Bill de Blasio, maire de New York City
C’est d’ailleurs sous l’étiquette Républicaine qu’il est élu maire de New York en 2001. Et pour Bill de Blasio, « par bien des aspects, il a agi comme un Républicain ». Sa politique sécuritaire est particulièrement critiquée. Le « Stop and Frisk » (politique de contrôle « aléatoire » d’identité) a provoqué l’incarcération de masse des populations afro-américaines et latinos, parce que ces contrôles se sont rapidement fait au faciès. « Il avait une approche très lourde et répressive du maintien de l’ordre. (…) Beaucoup se sont battus pour une loi interdisant le profilage racial par la police, il a opposé son veto, pour la création d’un inspecteur général indépendant pour la police, il a opposé son véto. »
Mais les Républicains lui doivent bien plus qu’une politique favorisant les plus riches, les promoteurs immobiliers et l’incarcération de masse des minorités raciales. En effet, jusqu’en 2019, le sénat de l’État de New York était resté à majorité républicaine. « Nous avions un sénat d’État Républicain, qui empêchait tout changement et toute réforme en faveur des travailleurs. Comment cette majorité républicaine a-t-elle survécu ? En étant financée par Michael Bloomberg. »

« L’incarnation même des règles du capitalisme »
Sa réelle motivation interroge. Sa détestation de Donald Trump est réelle. Mais politiquement, où se situe sa loyauté ? Pour Bill de Blasio, c’est clair: « Je suis inquiet qu’il n’ait aucune loyauté envers le parti démocrate. J’ai peur qu’il essaye de mettre en difficulté un candidat démocrate qui représenterait vraiment le changement. (…) Il croit au status quo, il est du côté des riches, il ne croit pas que la crise des inégalités doit être réglée en changeant les règles du capitalisme. Il est l’incarnation même de ces règles, il est devenu une des personnes les plus riches de la planète en jouant à ce jeu truqué, il n’a jamais essayé de le changer, et il ne va pas essayer. »
« Il croit au status quo, et si ses propres intérêts sont menacés, j’ai peur de ce qu’il fera de ses milliards. »
Bill de Blasio, maire de New York City
Pour de Blasio en revanche, il est temps que les démocrates « changent en profondeur les règles du jeu », et fassent des propositions fortes aux américains pour répondre à la crise démocratique que traverse le pays. Il est particulièrement risqué de proposer la candidature d’un milliardaire, qui plus est au passé républicain et au bilan plus que critiquable, face à un populiste de droite qui doit son élection à son apparente opposition au système établi et à la corruption du pouvoir. « De toute façon je ne crois pas qu’un milliardaire devrait être président, c’est impossible qu’un milliardaire soit en phase avec le reste de la population. »
Quand Cenk Uygur lui demande s’il soutiendra un candidat pour les primaires, de Blasio répond par l’affirmative, et s’il réserve pour l’instant son vote, il ajoute: « J’ai une admiration particulière pour Bernie Sanders et Elizabeth Warren. »
Propos recueillis par Cenk Uygur pour tyt.com, traduction et rédaction par Oskar Kermann Cyrus
Image d’en-tête: photo par Gage Skidmore. Licence CC BY-SA 2.0
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