Pendant quelques années, le journaliste et écrivain Mehdi Meklat a donné vie sur Twitter au personnage de Marcelin Deschamps. Excessifs, haineux, immondes, ses tweets relevaient du double maléfique, de l’exorcisation, « de l’autodestruction » dit-il a Télérama (seul média à avoir eu la bonne idée de lui donner la parole). Le scandale est arrivé à retardement, piloté par la fachosphère, embrayé par la lâcheté de la gauche qui a appris de l’extrême-droite le goût de l’épuration, le goût du bûcher et de l’inquisition. Les temps changent, pensez-vous ?
Tout scandale doit-être analysé par sa temporalité. S’il arrive à retardement, c’est qu’il y a un loup. Alors qu’il sort un livre co-écrit avec Saïd Abdallah, Minute (Seuil), les tweets de 2012 à 2014 de Marcelin Deschamps, son double fictif, refont surface, déterrés par la fachosphère. Alors que ce double n’était un secret pour personne, le scandale éclate, alimenté par une confusion de taille: Meklat a commis l’erreur de récupérer le compte de Marcelin Deschamps pour le mettre à son nom. Résultat, la haine de Deschamps se retrouve signée de sa véritable identité.
Aussitôt, la presse réactionnaire relaye la fachosphère, puis la presse de gauche embraye et le lynchage est général: il faut tuer Meklat. L’anéantir. Qu’il disparaisse. Nous vivons une époque formidable, à chaque jour son exécution publique, sa brebis galeuse à saigner sur l’autel moisi de la pureté morale, pureté dont les limites de l’acceptable sont désormais définies par l’extrême-droite: un fasciste véritable, mais intellectuel et blanc, est autorisé à éructer sa haine sur toutes les matinales ; une tête brûlée des quartiers populaires, au nom basané, coupable d’avoir poussé très loin le concept de compte parodique sur Twitter, doit être détruit jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. Une excommunication en règle. Un anéantissement humain. Mehdi Meklat paye en vérité le prix d’être un transfuge de classe: un arabe ça n’écrit pas, ça brûle des voitures, ça deal du shit – et surtout ça se tait.
Il est triste que tant de voix à gauche – peut-être vous-même – aient décidé d’aboyer en choeur avec les fascistes, de la surprenant lâcheté de Taubira à la diarrhée verbale des réacs de Marianne, toute la bourgeoisie médiatique unie à la fachosphère pour faire de Meklat un exemple. Un arabe doit rester à sa place: servir de faire-valoir médiatique ou de bouc-émissaire, de chien apprivoisé ou de loup à abattre. Pour cette classe de belles personnes, l’esprit des colonies n’est finalement pas mort: crève à nous servir ou crève à nous combattre, mais crève. C’est à nous de trier les sauvages des bêtes apprivoisée, paraît-il, l’homme blanc encore atteint des niveaux stratosphériques dans l’immonde, et il est ironique de voir qu’il y a finalement plus de haine dans l’indignation de ces nostalgiques des colonies que dans les tweets excessifs de Marcelin Deschamps.
Aude Lancelin, dans Le Monde libre (prix Renaudot essai), écrivait que la presse de gauche avait été contaminée par la pensée réactionnaire des BHL et Finkielkraut. Pensée bourgeoise qui jauge de haut la populace barbare des quartiers populaires, et qui se permet d’en trier les bons des mauvais éléments. La même presse hypocrite qui s’émeut du sort de Théo mais cautionne par son quotidien silence les agissements d’une police coloniale majoritairement d’extrême-droite (voire l’enquête du cevipof).
Mais il y a autre chose, dans cette affaire, qui provoque la nausée: la réthorique obscurantiste qui consiste à dire que la fiction ne doit pas aller plus loin que ce que la pureté morale autorise. Cette réthorique je l’ai, sur Sodome & Gomorrhe, toujours combattue. Cette réthorique qui a fait condamner Les Fleurs du Mal et Madame Bovary, La demeure du Chaos et Marilyn Manson (avant qu’on ne me le dise: je ne compare pas les oeuvres, seulement les condamnations), est doublée ici d’un mépris de classe: non seulement on n’accepte pas que le personnage fictif de Marcelin Deschamps dépassent des limites fixées a priori, mais en plus on ne pense pas Meklat capable de fiction. On ne le croit pas. Ce n’est pas possible, hein, qu’un pauvre, qu’un arabe puisse avoir ce recul et la pensée nécessaire à cette démarche. Non, Meklat n’est qu’un barbare, une bête non apprivoisée, un chien enragé, un voyou à la pensée primaire qui a un jour cru pouvoir s’accorder la prétention d’écrire un livre. Ce n’est qu’un arabe, et un arabe ça se tait.
Sincères condoléances,
Oskar Kermann Cyrus
Marilyn Manson, dans « Target Audience », cause lynchage médiatique et hypocrisie: « Am I sorry your sky went black / put your knives in babies backs / Am I sorry you killed the Kennedy’s and Huxley too? / But I’m sorry Shakespeare / was your scapegoat / and your apples sticking into my throat / Sorry your Sunday smiles are rusty nails / and your crucifixion commercials failed / but I’m just a pitiful anonymous // And I see all the young believers / Your target audience / I see all the old deceivers / we all just sing their song »