Sodome et Gomorrhe

Stephen King – « Carnets noirs »

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Deux personnages en quête de sens se trouvent confrontés à un choix crucial autour des mêmes carnets volés à un écrivain reclus – la suite inédite de sa trilogie culte. Dans Carnets noirs, Stephen King confronte deux personnages et deux époques autour de son thème de prédilection : l’Amérique, son Histoire, ses ombres et ses contradictions. Encore une fois, un coup de maître.

En 1978, un jeune voyou vaguement lettré entre par effraction chez son auteur préféré, John Rothstein, pour lui voler ses fameux carnets noirs, ceux dans lesquels l’auteur reclus a supposément couché la suite de sa trilogie, The Runner. Fâché par le sort que l’écrivain a réservé au personnage de Jimmy Gold dans le dernier roman publié, Morris le confronte et le tue dans un accès de rage.

En 2010, Pete Saubers, inquiet pour son père handicapé et l’avenir de sa famille, tombe sur un coffre renfermant les fameux petits carnets ainsi que vingt-deux mille dollars en liquide dont il se servira pour subvenir anonymement aux besoins de sa famille. Quelques années plus tard, Morris sort de prison, libéré sur parole à la faveur d’une lettre de la femme qu’il a violé trente-six ans plus tôt.

La crise et son monde

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Comme toujours, King se révèle fin observateur de la société américaine. Le contexte de la crise de 2008, ses répercussions économiques et surtout sociales, déjà abordé dans le premier tome de la trilogie Bill Hodges, Mr Mercedes, constitue le tissu narratif du roman. La situation de la famille Saubers en est un parfait symbole. Victime de la crise économique, Thomas Saubers est licencié, ne trouve pas de travail. Il se rend à cette fameuse foire à l’emploi, dès minuit la veille pour avoir une chance de décrocher un entretien. C’est précisément cette nuit là que sévit le Mercedes Killer, le tueur du précédent roman, qui fonce à pleine vitesse sur la foule aveuglée par les phares de sa coûteuse Mercedes. Gravement blessé, Thomas se retrouve en fauteuil roulant, ne peut plus sortir de chez lui sans assistance et perd espoir de retrouver un jour un emploi. La situation empoisonne son couple et menace de déchirer la famille, au bord du gouffre.

C’est précisément cette menace qui provoquer les événements du romans. Quand Pete tombe sur le vieux coffre renfermant les carnets de Rothstein et les enveloppes pleines de billets, il ne pense qu’à aider sa famille et réconcilier ses parents – avec succès.

C’est avec finesse que King dépeint les effets de la crise sur les familles. Des licenciements découlent souvent suicides, dépressions, divorces. Ces catastrophes économiques et sociales deviennent fatales pour bon nombre de familles et d’individus. La peur de voir ses parents se séparer va entraîner Pete dans un enchaînement d’événements et de situations qui lui échappent très rapidement. Hors de tout contrôle.

Se rebeller ? Se conformer ?

La dispute entre Morris et Rothstein repose sur cette question: faut-il se conformer pour devenir adulte ? La rébellion n’est-elle qu’un égarement de jeunesse ? C’est ce que semble dire le troisième tome de la trilogie culte de Rothstein. Jimmy Gold se range, se marie, décroche un emploi dans la publicité. Alors: se ranger ? se rebeller ? Abandonner ses idéaux de jeunesse pour se conformer à ce que la société demande ?

C’est à deux époques que s’adresse ce roman. Que sont devenus, passés les révoltes des années soixante, les manifestants contre la guerre au Vietnam ? Il se sont conformés. Mais aujourd’hui, dans une société en ruine, à l’économie fragile, comment faire encore confiance au système ? Faut-il se conformer malgré les évidentes injustices permises par un société égoïste et sans pitié ? Pete voit la vie de son père ruinée par conformisme, et la sauve au moins temporairement en se rebellant. Pour autant, cela valait-il le coup ?

C’est brillant. Très bien rythmé. La multiplication des personnages ne nuit pas à la narration, bien au contraire, l’intrigue s’imbrique parfaitement avec les événements de Mr Mercedes – bien qu’il ne soit pas strictement indispensable de le lire, jetez-y tout de même un oeil, fût-il distrait. Le style King est là, reconnaissable, avec toujours cet amour de la langue populaire, faisant sonner avec brio les accents, les expressions qui muent de génération en génération, donnant aux personnages une profondeur rare. Oui ce livre est un thriller, un excellent thriller. Mais si pour une fois nous acceptions de voir au-delà ? Comme toujours chez King, le genre est un prétexte pour voir plus loin. Et la littérature policière a toujours été un excellent vecteur de questionnements, aussi bien sociaux qu’intimes.

Carnets Noirs, Stephen King, Albin-Michel, 22€50

Nestor Malakoda

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