Sodome et Gomorrhe

Primaires démocrates : le bug des experts

Depuis la déclaration de sa candidature à l’investiture démocrate le 26 mai dernier, Bernie Sanders mène une campagne bruyante et tonitruante – brillante, il faut le dire – autour d’un programme « socialiste » assez inédit. Malgré la constante progression de sa campagne, malgré les foules qui se pressent dans ses meetings, malgré les sondages qui lui sont toujours plus favorables, Bernie Sanders est le grand absent des médias français, qui ne jurent que par Donald Trump et Hillary Clinton.

Bernie Sanders, improbable candidat

On ne peut pas l’accuser d’hypnotiser les foules par son charisme ou un incroyable talent oratoire. À 74 ans, le sénateur Bernie Sanders préfère les idées aux belles formules et… ça marche. Crédité de 5% au début de sa campagne, il réduit l’écart qui le sépare d’Hillary Clinton dans les derniers sondages nationaux, et se paie le luxe de faire jeu égal avec sa rivale dans l’Iowa, Caucus que l’ancienne secrétaire d’État a gagné… à pile ou face. Il y a deux mois, il était devancé de 32%.

Il se dit « Socialiste », un mot qui a longtemps été, dans l’Amérique post URSS, une insulte. Avec un programme inspiré des sociales-démocraties du nord de l’Europe, il fait office d’OVNI politique dans le pays du capitalisme décomplexé. Sénateur indépendant, il n’a pas toujours eu l’investiture Démocrate. Élu maire de Burlington dans une triangulaire en 1981, il a depuis remporté 14 élections, avec des scores impressionnants: 69% en 2004 en triangulaire pour un poste de représentant du Vermont, 65% en 2006 pour son premier mandat de sénateur – en refusant l’investiture démocrate.

Ses prises de positions pacifistes (il s’est prononcé contre toutes les guerres menés par les USA), sa volonté de se battre contre Wall Street (il veut taxer les revenus financiers), contre la pauvreté (il réclame un smic à 15$ de l’heure et la semaine des 40 heures), pour la gratuité de l’enseignement supérieur public, pour l’instauration d’un système de couverture santé universel (libéré du lobby des assurances privées), son soutien au mouvement Occupy, à Edward Snowden et à Julian Assange n’en font pas le candidat le plus populaire dans les mass-medias américains. Aux yeux de nos « spécialistes » français, il est même « improbable » qu’il remporte l’investiture démocrate.

Réactualiser notre vision de l’Amérique

La raison pour laquelle nos experts français se trompent dans leurs analyses et prévisions sur la politique américaine depuis – au bas mot – 2008, c’est qu’ils utilisent la même grille de lecture depuis 20 ans. Pour eux, l’Amérique est encore ce pays de bouseux bas du front, religieux sans neurones, contre toute forme d’intelligence et de culture (bon, je caricature à peine), armé jusqu’aux dents et principalement mu par la peur du communiste. Cette grille de lecture, périmée, a déjà échoué à analyser les scrutins de 2008, où Obama avait été « la surprise » des primaires puis de l’élection en elle-même, ainsi que de 2012, où le profil conservateur du mormon anti-avortement Mitt Romney était censé mettre en échec la réélection d’Obama. Elle échoue, encore aujourd’hui, à analyser les raisons profondes du succès phénoménal de Bernie Sanders, au point le nier tout à fait.

L’Amérique a changé. Elle est moins religieuse, les athées déclarés sont en effet de plus en plus nombreux. Les deux guerres de Bush et leurs milliers de soldats tués ont durablement changé le regard que le peuple portait sur les questions internationales. Le pays a accepté sans broncher (si l’on excepte certains accrocs bruyamment minoritaires) le mariage pour tous, s’est battu pour l’abrogation de Don’t Ask Don’t Tell et ont réélu le premier président afro-américain de l’Histoire des États-Unis contre le candidat de « la vieille Amérique », religieuse, bigote, intolérante et conservatrice. Enfin, depuis la crise financière de 2008, la question des inégalités et de la responsabilité des banques ont provoqué un important mouvement social associé au mouvement Occupy. Nous pourrions continuer de lister les profonds changements qui, ces quinze dernières années, ont bouleversé ce grand pays. Mais il semble bien qu’au regard de ces changements, la candidature de Bernie Sanders est loin d’être improbable. D’autant plus que le mot « socialiste » n’est plus une insulte que pour la droite du parti Républicain, la jeunesse américaine n’ayant que faire de la menace communiste et de l’URSS.

Quelques voix discordantes

Malgré l’unanimité des médias français en faveur de la candidate Hillary Clinton, des voix discordantes, pas toujours confidentielles, parient sur la victoire de Bernie Sanders aux primaires démocrates. Il y a tout d’abord cet étonnant « sondage » de la Western Illinois University, qui modélise un an à l’avance les élections américaines depuis 1975, qui donne Bernie Sanders gagnant aux primaires et en novembre prochain. Cela pourrait sembler anecdotique si cette université n’avait pas un taux de prédiction vérifiées de… 100%.

La jeunesse est un facteur important à prendre en compte. Ils ont été 84% parmi les 17-29 ans à prendre parti pour Sanders dans l’Iowa. bien plus qu’Obama en 2008. L’électorat jeune avait alors été le principal atout du sénateur de l’Illinois dans la course à l’investiture. Il semble donc bien que, contrairement à ce qu’affirment les spécialistes médiatiques français, la dynamique soit plus favorable à Sanders que Clinton, qui peine à convaincre, empêtrée dans ses engagements tardifs et ses revirements successifs.

Enfin, quelques grandes voix inattendues se font entendre. De Joe Biden (actuel vice président) qui le juge « plus crédible que Clinton » dans la lutte contre les inégalités à Robert Reich, ami de longue date d’Hillary Clinton, ancien secrétaire au travail de l’administration Clinton, qui déclare : « Je connais Hillary depuis qu’elle a 19 ans et je la respecte. La vérité c’est qu’elle est la candidate la plus qualifiée pour le système que nous avons. Bernie Sanders est, quant à lui, le candidat le plus qualifié pour créer le système politique que nous devrions avoir. », Sanders s’est même payé le luxe d’une visite à Obama annoncée par la Maison Blanche (Clinton avait elle aussi été reçue, mais sans publicité). Un timide geste du président qui, en 2006, était allé soutenir Sanders pour son élection au poste de sénateur (sans l’étiquette démocrate).

Une situation bien plus complexe

En vérité, le résultat des primaires démocrates est donc beaucoup moins prévisible que l’on peut l’entendre dans les médias. Desservis par une grille de lecture périmée de longue date, nos spécialistes sont tous d’accords. Comme en 2008, tous parient sur la victoire d’Hillary Clinton, qui pourrait pourtant être, une nouvelle fois, débordée par sa gauche.

Si l’ancienne secrétaire d’État est encore devant Sanders, ce dernier remonte dans les sondages et il ressort renforcé de cette première étape dans l’Iowa, quand la victoire à Pile ou Face de Clinton est très largement moquée sur les réseaux sociaux. La probable large victoire de Sanders dans le New Hampshire pourrait changer totalement la suite des primaires, et faire basculer le résultat en Caroline du Sud, où Sanders rattrape d’ors et déjà son retard sur « Hillary » dans les derniers sondages. Rien n’est donc joué au pays de l’Oncle Sam.

Sincères condoléances,

Oskar Kermann Cyrus

bonus

Woody Guthrie chante « This Land Is Your Land », que Sanders avait repris dans un – malheureux – album hommage. Cet hymne est fréquemment chanté en fin de meeting par ses supporters.

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