Sodome et Gomorrhe

Mein Kampf chez Fayard : beaucoup de bruit pour rien ?

Cette semaine, Jean-Luc Mélenchon s’est exprimé contre la publication en janvier 2016 du livre d’Adolf Hitler, Mein Kampf (Mon Combat, en français), aux éditions Fayard, rendue possible grâce (ou à cause de ?) son entrée dans le domaine public. Dans une lettre riche en envolées lyriques et pauvres en arguments, le Benoît XVI du Parti de Gauche (blague) avance que ce livre est « l’acte de condamnation à mort de 6 millions de personnes dans les camps nazis ». Admettons. N’est-ce pas justement une raison de le publier et de le lire ?

J’ai lu Mein Kampf. Non pour mes études, mais pour ma culture personnelle. J’estime qu’un tel document, dont l’auteur a eu un tel impact sur l’Histoire, doit être lu. Cela fait partie, pour moi, du « devoir de mémoire ». Se souvenir des victimes, évidemment, il le faut. Mais se souvenir des criminels est encore plus capital. Savoir comment ils procèdent, comment ils avancent. Comment ils ont construit cette idéologie malade qui a plongé l’Europe entière dans une folie meurtrière et collaborationniste. Je suis allé à la médiathèque de ma ville et je l’ai demandé. J’ai signé un papier, et je suis reparti avec le livre en question, un énorme pavé avec une couverture orange, celle des « Nouvelles éditions latines », seul éditeur français a être autorisé à publier l’ouvrage.

Une diffusion large et incontrôlable

Contrairement à ce que Jean-Luc Mélenchon avance, la première publication de l’ouvrage en France n’est pas celle de 1938 chez Fayard – avec l’accord de Hitler – mais celle de 1934 aux Nouvelles éditions latines, qui le publie encore aujourd’hui. Cette traduction – mauvaise, paraît-il – s’est faite sans autorisation, et le régime Nazi a même tenté de la faire interdire. En 1979, la LICRA demande l’interdiction du livre et attaque l’éditeur, qui gagnera – à condition d’intégrer dans le livre un livret de rappel historique sur le génocide et la seconde guerre mondiale. Sa diffusion n’a donc jamais cessé depuis 1934 et il est aujourd’hui possible de trouver cette publication dans de nombreuse bibliothèques et médiathèques, ainsi que de le commander en librairie (le libraire n’a, en théorie, pas le droit de refuser la commande). De plus, il suffit de faire une simple recherche sur Google pour trouver de nombreuses éditions numériques complètement gratuites de l’ouvrage, et dépourvues d’appareil critique.

Il est donc naïf et totalement illusoire de penser que la diffusion de Mein Kampf sera réduite par la non-publication de l’ouvrage chez Fayard. Pire, en se privant d’une véritable édition critique, d’une véritable étude du document et de ses retombées historiques, nous laisserions le champ libre à ces autres publications – éditions pirates, éditions numériques, éditions pauvres en explications et rappels historiques. Penser que cette nouvelle édition fera de la publicité à l’ouvrage, c’est gravement se voiler la face sur sa diffusion réelle. N’importe qui s’étant intéressé de près ou de loin à l’histoire du régime Nazi s’est intéressé à ce livre, est allé le demander dans une bibliothèque, l’a acheté. C’est un document capital de notre Histoire, et nous ne pouvons pas empêcher les citoyens de s’y intéresser.

Faire face à l’Histoire

70 ans après la mort d’Hitler, il s’agit aussi de faire face à l’Histoire. De prendre un recul nécessaire sur la période. Recul que Jean-Luc Mélenchon a visiblement du mal à prendre – ce qui est évidemment compréhensible, ce n’est pas facile. Lire Mein Kampf est à mon avis nécessaire. Cela fait trop longtemps que l’on déshumanise Hitler, qu’on lui accole l’étiquette de « monstre », parce qu’il nous est inconcevable qu’un être humain soit capable d’une telle entreprise criminelle. Mais le crime est humain, tout comme le criminel.

On ne peut pas cacher ce livre et ce qu’il contient comme la poussière sous un tapis. On ne doit pas oublier ces lignes, et leur impact sur notre Histoire et notre société. Parce que le criminel est humain, il s’agit aussi de le reconnaître quand il avance aujourd’hui. Jean-Luc Mélenchon nous dit : « Pas Mein Kampf quand il y a déjà Le Pen ». C’est précisément parce qu’il y a Le Pen qu’il faut lire Mein Kampf. C’est précisément parce que la folie fasciste avance dans les esprits et s’empare de notre quotidien qu’il faut lire Mein Kampf. Se souvenir des conséquences de tels arguments. De la paranoïa d’un homme beaucoup moins malin qu’on ne le pense, mis au pouvoir par d’autres hommes pour des intérêts politiques divers, aidé par de grands industriels et capitalistes, dans une époque semblable à la nôtre.

Un document inoffensif

Croire que « les gens » – comme ils disent – pourraient être convaincu par ce délire paranoïaque extrêmement long et extrêmement chiant (on arrive péniblement à la fin), c’est quand même sacrément les prendre pour des cons. Nous prendre pour des cons. Tout le monde connaît l’Histoire, monsieur Mélenchon, plus ou moins bien – admettons – mais tout le monde connaît les conséquences de telles idées. Qui pourraient donc être convaincus par de telles idées, aujourd’hui, en dehors de ceux qui, justement, le sont déjà ? Les petits fachos n’ont pas attendu Fayard pour s’emparer de ce « classique » de leur littérature – quand ils savent lire, ce qui est de plus en plus rare – pour les raisons évoquées plus haut : sa diffusion est bien plus large que vous semblez le penser.

Je suis homosexuel. Probablement qu’à l’époque, j’aurait été communiste, syndicaliste, en tout cas dans l’opposition. J’aurais eu pas mal de triangles colorés cousu sur le revers de ma veste. Je mesure donc pleinement le poison qui coule dans ce livre. Mais ce poison aujourd’hui coule dans d’autres lignes, par d’autres bouches, distillés par des personnes qui ne portent pas de vestes noires ou de chemises brunes. La haine n’a pas disparu, elle se déguise. Mein Kampf n’était qu’un avatar de cette haine. Il y a eu d’autres livres avant lui, il en a eu d’autres après – tant d’autres – il y en a encore aujourd’hui – plus sournois. J’ai lu Mein Kampf avec dégoût  – de nombreux passages me concernent – mais je peux dire aujourd’hui que sa prochaine édition chez Fayard est aussi inoffensive que nécessaire.

Oskar Kermann Cyrus

Aller plus loin : 

Christian Ingrao, chargé de recherches au CNRS, répond à Mélenchon (via liberation.fr): Mein Kampf : un historien répond à Mélenchon

2 Commentaires

  1. Gérard du Biolo

    « Qui pourrait être convaincu par ce délire paranoïaque » ? Mais des millions d’Allemands l’ont été, cher ami …

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    1. Oskar Kermann Cyrus (Auteur de l'article)

      Oui et non. Le livre n’a été un véritable succès que dans les années 30, mis en lumière par l’accession progressive des Nazis au pouvoir. À sa publication, en 1925, le livre n’a pas intéressé beaucoup de monde.

      Deuxièmement, nous ne sommes plus en 1925, Hitler on le connaît, et on sait ce qu’il a fait. Aujourd’hui, qui pourrait être convaincu par ce délire paranoïaque ?

      Lisez-le, c’est long, mal écrit, chiant. personne ne le terminera.

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