Personnalité trouble et insaisissable, l’artiste Pomme Camille a le talent pour rendre beau l’atroce et l’insoutenable, dans de puissants grands formats qui ne laissent pas indemne l’œil du visiteur. Questionnant le corps, la beauté et les canons de notre époque, ses peintures ont une puissance émotionnelle rare.
« Si c’est pour mettre ma gueule dans l’article, ce n’est pas la peine. Je ne suis pas Catherine Deneuve, je n’ai pas d’injections de botox à rentabiliser… » A peine évoquée, l’éventualité d’une courte séance photo pour illustrer l’article est balayée d’un éclat de rire. Elle préfère proposer quelques une de ses dernières peintures, dont un grand format d’un mètre vingt de haut où le corps se bat avec lui-même dans un déluge de couleurs d’une étonnante violence. Son titre : Et ça hurle à l’intérieur.
Un itinéraire chaotique
A 28 ans, Pomme Camille n’est déjà plus une « artiste en devenir ». Son parcours, de l’école des Beaux-Arts de Toulouse à ses diplômes en Marqueterie et ébénisterie d’art, témoigne d’une grande volonté dans l’accomplissement de son art. Et si elle avoue peindre « de manière très instinctive », notamment dans son utilisation assez violente de la couleur, elle garde une grande exigence technique, afin d’exprimer le mieux possible les émotions, les sentiments, les douleurs.
« Le perfectionnisme est une vraie névrose, vous n’êtes jamais satisfait de rien, peut-être est-ce cela que veut dire La beauté est dans l’œil de celui qui regarde… Finalement, c’est vous qui faites l’œuvre, qui lui donnez un sens. Je ne fais que questionner un sentiment. » Elle regarde pensivement sa dernière toile « Je me demande toujours si ce que je fais est de l’Art, c’est quoi l’Art ? » Elle s’arrête de parler et éclate de rire « Et je vous fais le coup de la profonde réflexion sur le sens de la vie. »
Mais la question est tout de même posée. Après toutes ces années d’études et de pratiques, qu’est ce qui fait sens, artistiquement, qu’est-ce qui fait de la peinture de Pomme Camille une œuvre d’art ?
Le corps en question
« Le rapport au corps est une problématique omniprésente dans ma vie. Le corps est mon médium de prédilection pour m’exprimer. Je veux parler de l’être humain dans tous ses états, je veux parler de ce qui se passe en lui, je veux parler de tout ce qu’il n’arrive pas à dire, et c’est par la représentation de son corps, plastiquement très intéressant et expressif, que j’y parviens. C’est de la somatisation. » Ainsi l’anorexie est évoquée, à travers notamment « Anorexia Nerviosa », série d’aquarelle représentant des corps exsangues dans des poses dérangeantes, évoquant parfois les mannequins des couvertures des magazines de mode.
Les corps portent donc sur eux les marques des frustrations, des non-dits, des désirs inavoués ou inavouables, des frustrations causées en partie par les barrières imposées par la société, ses standards de beauté et de succès : la perfection esthétique, la réussite sociale, toutes ses illusions qui causent en vérité bien des souffrances chez qui se sent dépassé. Pomme Camille le sait bien : de ses passages en hôpital psychiatrique, elle tire ses « feuillets d’HP », série de dessins où la souffrance intérieure est telle qu’elle sort par le corps et l’épuise.
« Réussir à sublimer l’horreur »
La question qui s’impose d’emblée devant l’œuvre de Pomme Camille, c’est la notion de beauté. Qu’est-ce que la beauté ? Est-ce simplement le plaisir esthétique que l’on peut ressentir devant une « belle image », un graphisme séduisant ? Est-ce une notion plus complexe et plus ambivalente ? Et qu’est ce qui est beau dans une peinture, le sujet ou ce que l’artiste en fait ? Qu’est-ce qui doit être beau ?
Toutes ses questions se bousculent devant le travail de l’artiste, tant elle paraît douée du rare talent de rendre visuellement fascinant la douleur et le mal-être. « Le « joli », c’est ce qui est plaisant à regarder, qui ne heurte pas mais est agréable, ce qui vous caresse dans le sens du poil. » répond-t-elle. Quelle différence avec la beauté, alors ? « Ce qui est beau n’est pas nécessairement joli. Le beau touche profondément, écorche, s’incruste… C’est pour moi tout le défi de l’Art : faire du beau avec du moche. Réussir à sublimer l’horreur. »
Créer pour choquer ?
La malaise que l’on peut aisément ressentir face à certaines de ses toiles – par exemple devant Une mort très douce, peinture saisissante représentant une vieille dame nue, squelettique, un trou noir dans le ventre, allongée en nous fixant avec un dernier sourire – ce malaise interroge : est-ce normal de rendre mal à l’aise le visiteur ? « Ce n’est pas négatif, bien au contraire ! C’est la preuve que vous réagissez, que j’ai réussi. Je n’aimerai pas crier dans le vide, le pire serait l’indifférence. Or je veux vous interpeller, vous déranger, vous provoquer, vous choquer, vous faire réfléchir, laisser en vous une trace indélébile de notre rencontre, je veux avoir un impact sur votre vie. Et peut-être vous aider. »
Est-ce donc de la provocation ? Certains pourraient penser que la démarche et futile. Provoquer pour provoquer ? Elle hésite sur la réponse à donner, avant de se lancer : « il ne peut y avoir d’artiste qui ne soit provocateur. Un artiste consensuel n’est pas un artiste, c’est un arriviste. Une pute. »
Oskar Kermann Cyrus