Dans un système médiatique dont le but n’est pas l’information mais la recherche de profits, les journalistes d’aujourd’hui publient sans vérifier des informations, vraies ou fausses, dont le but n’est pas de vous éclairer mais de susciter une émotion chez le lecteur qui va ensuite partager l’article, et par là-même faire engranger aux médias en ligne des sommes considérables en revenus publicitaires. Dernier incident en date: le buzz autour d’un montage vidéo amateur comportant des images inédites d’un présumé court-métrage où l’on voit la chanteuse Lana Del Rey se faire violer par Eli Roth (réalisateur du très dispensable Hostel). Ce montage amateur, de médiocre qualité, s’est retrouvé au fil des articles comme le nouveau clip de Marilyn Manson, accusé pour l’occasion de « glamouriser » le viol à seule fin de publicité. Analyse d’un buzz fabriqué par les médias.
De l’art d’écrire un article sans rien connaître du sujet
Prenons un exemple. Il s’agit d’un article de Lauren Provost paru dans le Huffington Post (France). En rouge sont surlignées les phrases qui comportent des informations totalement fausses, chose facilement vérifiable par une simple recherche Google. En bleu, le vague compte rendu d’une interview d’Eli Roth, qui évoque un court-métrage avec Lana Del Rey et Marilyn Manson, mais dont il n’existe aucune trace réelle. Le lien entre les propos d’Eli Roth et la vidéo en question est donc fantasmé ou, au mieux, supposé.
Le deuxième exemple est beaucoup plus parlant. Il est publié sur le site Charts in France, spécialisé dans l’actualité musicale. L’article et signé Jonathan Hamard et relève de l’absurde. En plus des informations fausses en rouge, l’article comporte des phrases relevant de l’émotionnel jouant sur l’aspect « choquant » de la vidéo qui est, rappelons-le, un faux très grossier. En jaune, les approximations, sous-entendus et toute information qui relève de la rumeur, en l’occurrence l’accusation contre Manson d’avoir fait fuiter cette vidéo pour vendre son prochain album, The Pale Emperor, qui sortira en janvier.
En résumé, les articles sur la fameuse vidéo sont composés d’informations totalement fausses – inventées par des journalistes dans le but de faire mieux que l’article qu’ils ont eux-mêmes copié -, et de spéculations, suppositions, là aussi formulées par les journalistes dans le but d’alimenter un buzz qu’ils ont eux-mêmes fabriqué.
Un montage amateur star d’un buzz fabriqué
Ce scandale-là est assez exemplaire dans son mécanisme, et révélateur de la machine médiatique, qui fonctionne sans que personne ne vérifie l’information, au fil de la rumeur, ce qui est une grave faille dans la chaîne de l’information. Au départ, il y a une lointaine interview de l’acteur-réalisateur (moyen) Eli Roth, interview dont personne n’avait entendu parler sauf les inconditionnels de Larry King et les fans d’Eli Roth (ils ne sont plus très nombreux). Dans cet entretien, il mentionne l’existence d’une vidéo dans laquelle apparaîtrait Lana Del Rey et Marilyn Manson, des images « tellement dérangeantes » qu’elle serait aujourd’hui mises sous clé. Pas de date de tournage, pas de titre, pas de contexte, pas de détail sur la vidéo en question, rien, le néant total. De cette déclaration, un journaliste avisé aurait su que rien ne pouvait en sortir, puisque comportant une trop importante dose de spéculation.
Mercredi 19 Novembre, un montage vidéo visiblement amateur est publié sur une chaîne Vimeo puis Youtube complètement anonyme. Cette vidéo est intitulée « Sturmgruppe », sans que l’on sache s’il s’agit du titre, du nom de la chaîne ou de l’organisation qui publie la vidéo: première incertitude. Ce montage est composé de vidéos très différents, sans aucun lien entre elles (la chose est flagrante):
- Des extraits du clip « No Reflection » de Marilyn Manson, réalisé par Lukas Ettlin, publié en 2012
- Des extraits du clip « Slo-mo-tion » de Marilyn Manson, réalisé par Marilyn Manson, publié en 2012
- Des images d’origine inconnue, où l’on voit Lana Del Rey jouant une femme violée par un personnage incarné par Eli Roth.
- D’autres extraits non identifiés.
Le tout est agrémenté d’un filtre vidéo absolument immonde et attestant de l’amateurisme du monteur. Toutes ces informations sont vérifiables, les clips de Marilyn Manson sont disponibles sur le site Vevo et ont été visionnés des millions de fois chacun. J’ajoute que Google, comme d’autres moteurs de recherche aujourd’hui, permettent de chercher des images à partir d’une image que vous aurez chargé sur le moteur. Par exemple, il aurait suffit à Lauren Provost ou Jonathan Hamard de prendre une simple capture d’écran de la vidéo, de la chercher sur google et de trouver facilement l’origine des extraits des clips de Manson. En quelques minutes seulement. Et ainsi d’arrêter de colporter une information manifestement fausse.
Pour résumer, les journalistes ont lié la vidéo, comportant des images effectivement inédites de Lana Del Rey et d’Eli Roth, avec cette lointaine déclaration, sans qu’aucun élément ne puisse venir consolider ce lien. Rassurant, non ?
La rumeur comme étendard de la bonne morale
Nous venons donc de prouver que l’élément de base de ce buzz est un faux grossier, et qu’il était alors facile – et rapide – de le vérifier. Maintenant, il est intéressant de remarquer comment le système médiatique prend prétexte d’une lutte pour la protection de la morale publique pour faire oublier les mensonges et approximations, et aussi, un peu, se donner bonne conscience.
Cosmopolitan.fr prend la vidéo comme prétexte pour dénoncer la « haine des femmes », et quasiment tous les articles accusent Marilyn Manson d’avoir fait fuiter la vidéo en question afin de vendre son album The Pale Emperor, à paraître en janvier prochain. Sur quoi cette accusation repose-t-elle ? Sur rien. Absolument rien. La vidéo étant un faux grossier, cette accusation alimente un buzz fabriqué en créant un scandale de toute pièce: Manson serait alors – encore une fois – le grand méchant qui « glamourise » le viol à seule fin de choquer, et donc de vendre.
Ce qui est choquant, ce n’est pas seulement qu’aucun journaliste au monde (le buzz a été international) n’ait été capable de faire ce que j’ai fait en dix minutes, non, ce qui est choquant c’est aussi qu’ils osent se poser en gardiens de la bonne morale alors qu’ils colportent en toute connaissance de cause mensonges et rumeurs, dans le seul but de faire gagner à leur employeur une importante part de revenus publicitaires – le nerf de la guerre dans la presse en ligne. Le système médiatique n’est pas seulement défaillant, il est malsain, excité à la seule idée de voir Lana Del Rey violée dans une vidéo. L’accusation contre Manson a comme un goût amer d’hypocrisie et d’imposture.
Nous devons alors nous poser la question: quand un journaliste écrit un article composé à 50% de mensonges et 50% de rumeurs, n’est-ce pas là une faute, grave, et donc un motif de licenciement ? Un journaliste capable de publier un article mensonger ne devrait plus avoir le droit de porter une carte de presse. S’il y a un milieu qu’il faut nettoyer, c’est bien le monde merveilleux des médias.
EDIT: En fin d’après-midi, le redac-chef culture de Metro News, Jérôme Vermelin, a publié cet article où, au lieu d’aller vérifier le démenti de Marilyn Manson, il ajoute à la spéculation en soupçonnant le chanteur de vouloir se désolidariser d’Eli Roth, après « bad buzz » (fabriqué, donc, comme on l’a vu). Cet article lamentable frisant la diffamation devrait être montré comme contre-exemple en école de journalisme.
Sincères Condoléances,
Oskar Kermann Cyrus
Bonus: les clips « No Reflection » et « Slo-mo-tion » de Marilyn Manson