Sodome et Gomorrhe

Unis pour l’Art Dégénéré

Les vacances sont terminées. Après plus d’un mois de silence, les fascistes qui ont saccagé le Tree de Paul McCarthy place Vendôme m’ont sorti de la torpeur, de la paresse, de la vie tranquille qui s’écoule loin de tout. Je n’ai écouté que partiellement les informations, je ne veux plus rien savoir de ce monde qui plonge, je n’ai qu’une existence et l’urgence de vivre. Mais le monde me rattrape, le rôle de celui qui écrit étant – entre autres choses – de le détruire plus vite qu’il ne se détruit lui-même, l’Art me semble alors le dernier bastion à défendre jusqu’à la mort.

L’Art est cette « chose » magnifique qui n’exige rien, qui ne demande rien, qui ne donne rien non plus, qui n’offre rien, qui n’est pas un contentement décoratif à vos yeux avide d’une esthétique fabriquée et changeante au fil des saisons. L’Art n’est qu’une question, LA question, la question qui n’est pas formulable, mais qui vous empêche de dormir. Celle qui vous trotte dans la tête et qui vous empêche de couler doucement dans le confort des bonnes habitudes, celle qui vous force à lever la tête et affronter vos limites, vos peurs, celles de la société, les tabous qu’on nous impose, les frontières qu’on vous force à respecter avec docilité et obéissance. L’Art est la résistance ultime justement parce qu’il ne comporte aucune réponse. L’Art n’a pas de programme, pas de discours, l’Art ne vous confortera jamais et vous bousculera toujours.

La beauté n’est pas le joli. La beauté est cette notion complexe qui peut surgir de l’immonde. De la saleté, de la boue, de la mort et du désespoir. L’Art est aussi une affaire de contraste, comme la vie, après tout : l’ombre révèle la lumière, les formes, les angles, et cela dans tous les sens – métaphysique, esthétique – tout comme le bonheur n’est révélé, par contraste, que par la part d’ombre qui sommeille en chacun de nous. Alors la beauté n’est pas le joli, non, parce que la beauté est ambivalente et que le joli n’est qu’une illusion bâtarde née du désir d’effacer la part d’ombre de nos vies. L’Art n’est pas joli, il est beau, et il est beau parce qu’insaisissable.

Le Tree de McCarthy obéit à cette règle – ou à cette non-règle – en n’étant pas joli. L’œuvre n’est pas forcément un plaisir des yeux, ce n’est pas le but. Mais elle interroge. Elle interroge la représentation d’un objet, et qui représente un arbre parce qu’on lui a donné ce nom. Une forme ambigüe puisque fabriquée par l’Homme, et donc soumise au regard du spectateur. L’œuvre interroge donc aussi le regard, la subjectivité, l’œil du spectateur qui va voir un arbre si on lui présente cela comme un arbre, ou un Plug Anal si une colonie de fascistes l’interprète comme la représentation d’un Plug Anal. Et on retrouve dans cette dispute la fonction même de l’Art : aussi dérisoire, aussi absurde et vain qu’il puisse paraître, c’est un questionnement. Seulement un point d’interrogation de 24 mètres de haut sur une des places les plus célèbres du monde.

Dès lors, le saccage de l’œuvre et l’agression de l’artiste est un acte fasciste. Vouloir censurer l’Art parce qu’il ne respecterait pas une vision, une image, une subjectivité est un acte fasciste, parce qu’il tend à imposer à l’Art un discours, une idée, une réponse à LA question. Or il n’y a pas UNE réponse. Il en existe au moins 7 milliards. Cet acte de vandalisme tend à imposer, comme la ministre Fleur Pellerin l’a très bien remarqué, une définition d’un Art respectable et, surtout, une définition d’un Art Dégénéré. Le grand rêve de Joseph Goebbels.

Le sujet n’est donc pas, comme certains gauchistes irresponsables le disent, une sombre histoire de financement qui serait scandaleux, et soutenir un acte fasciste sous ce prétexte stupide est en soi un acte fasciste.

Il n’est pas possible d’imposer à l’Art une définition du bon goût qui est, selon Marcel Duchamp, « le grand ennemi de l’Art ». Laissons ça aux fantômes du passé, à Goebbels, au CSA, à Ernest Pinard qui attaqua en 1857 Baudelaire, Flaubert et Eugène Sue parce que leur littérature était contraire à « la morale publique ». Le bon goût est une notion fasciste dans laquelle nous sommes tous des artistes dégénérés.

Sincères Condoléances,

Oskar Kermann Cyrus

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