Oscar Coop-Phane est un type énervant. Un jeune con prétentieux qui clame à qui veut l’entendre qu’il ne lit « que les auteurs morts », autrement dit qu’il est assez stupide pour se passer du puissant vertige de Joyce Carol Oates ou de la verve vénéneuse de Marc-Edouard Nabe. Notons qu’avec l’allongement de l’espérance de vie ses lectures vont finir par se faire rares : il est certainement le seul lecteur sur Terre à avoir accueilli la mort de Garcia Marquez par un élégant : « Putain c’est pas trop tôt ! »
Néanmoins ce type énervant sait écrire. En 2012, il décroche le prix de Flore avec son premier roman, Zénith-Hôtel, récit puissant évoquant les destins croisés d’une prostituée et de certains de ses clients. Déjà il y avait le style, pointu et bref, précis, allant toujours à l’essentiel, donnant à ce court roman la violence d’un uppercut. Le barman-de-nuit-écrivain-le-jour donne alors interviews sur interviews, étalant comme une mélasse bien gluante sa posture d’écrivain intello mais rock qui s’exile à Berlin pour écrire « le roman d’une génération » (dixit Finitude), Demain Berlin.
Je vous le dis tout de suite, c’est encore un coup de maître. Paru deux petits mois après avoir gagné un verre de blanc par jour au Café de Flore (ce PMU vaguement intello du côté de SGDP), ce roman, tout aussi bref que le précédent, nous fait suivre Tobias, Armand et Franz, trois personnages qui atterrissent à Berlin en quête d’un nouveau départ. Ces trois personnages vont s’oublier dans le vertige des nuits Berlinoises, aidés par la drogue et la techno, vivre plus vite et plus fort et oublier le quotidien, la douce violence de l’habitude, oublier les jours qui passent et les corps qui s’épuisent, laisser filer le temps sans que ça ait une quelconque importance, vivre, finalement, vivre, vivre, vivre.
Ce qui est époustouflant dans ce roman c’est la fusion totale entre la forme et le fond. C’est le lien intime que le style entretient avec le récit et le sens profond du livre. La plume de Coop-Phane se fait de plus en plus vertigineuse à mesure que la vie s’accélère, et les prises de drogues s’enchaînent, que la danse se fait plus frénétique, que les nuits passent et se ressemblent, que l’aiguille de l’horloge file sans qu’on s’en rende bien compte. C’est aussi le rythme de la Techno que l’on ressent dans la musique des mots, ce rythme rapide et sourd, profond, aussi concis que puissant, et qui pousse le lecteur dans le trou noir de l’oubli de soi, entre angoisse et délice.
Demain Berlin promet une belle carrière d’écrivain. Je l’avoue, j’ai failli être mesquin et ne pas écrire cette critique, ayant constaté qu’il était – aux dernières nouvelles – toujours vivant. Mais l’animal a beau être un insupportable écrivain manufacturé SGDP, l’œuvre n’en est pas moins superbe.
Extrait :
« Il n’aurait pas pu vivre sans béquilles. Alors même si ça l’abîme, même si ça le détruit doucement, ça vaut mieux que de mourir tout de suite noyé dans le Spree Ou pendu à une ceinture.
Ce n’est pas qu’il n’a pas le courage de vivre, mais plutôt, qu’à force de se faire battre, il n’est plus fait pour ça. Les drogues le sauvent comme elles en tuent d’autres. »
Demain Berlin, Oscar Coop-Phane, éditions Finitude, 16€ (Acheter sur leslibraires.fr)
Sincères Condoléances,
Nestor Malakoda.