Sodome et Gomorrhe

Le CSA rhabille les femmes : « Miley, mets ta Burqa ! »

Mercredi 8 janvier, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (comme ça se prononce), a pondu un communiqué surréaliste visant deux « vidéomusiques » (ce qui, en langage Françoise Laborde, signifie « clip vidéo »), respectivement « Work b**ch » de la délicate Britney Spears et « Wrecking Ball » de la sale gosse Miley Cyrus : ces vidéos étant vraiment trop dégueulasses, interdiction de les diffuser avant vingt-deux heures. Heavy coup de gueule.

Je n’ai rien contre le CSA, non. Ils sont une source inépuisable pour cette rubrique. A chaque communiqué, cet organisme membre à vie de la pruderie internationale s’enfonce un peu plus dans le rôle de grand défenseur de la morale publique, enchaînant prises de positions conservatrices et décisions arbitraires à un rythme inquiétant. L’année dernière, c’est le (magnifique) clip réalisé par le génial Xavier Dolan pour la (banale) chanson d’Indochine « College Boy » qui faisait alors l’objet d’une campagne de censure hyper-médiatisée menée par l’inénarrable Françoise Laborde, oui, la dame au brushing chelou. Souvenez-vous, j’avais déjà été un petit peu énervé par cette bande de petits procureurs coincés, qui auraient certainement, en 1857, interdit Les Fleurs du Mal et attaqué Madame Bovary, sans oublier d’aller cracher sur la tombe d’un Eugène Sue épuisé de se battre pour sa liberté d’écrire et de penser. En fin d’article, j’avais alors exactement écrit ceci :

« Alors Françoise, je suis moins gentil que Xavier Dolan, je ne considère pas que vous avez « trente-cinq ans de retard », mais cent cinquante. Cent cinquante ans de retard sur votre père spirituel Ernest Pinard. Cent cinquante ans d’hérédité dans la bêtise la plus crasse, dans l’incompréhension profonde de ce qu’est l’Art et la création artistique. Cent cinquante ans de fascisme, à essayer d’imposer à l’Art une prétendue « morale publique ». Cent cinquante ans de stigmatisation des artistes comme instigateur de la violence dans la société. Cent cinquante ans d’aveuglement, à vous voiler la face, à faire semblant de croire que l’Art invente la violence alors qu’il ne fait que la décrire, la montrer, la questionner. Cent cinquante ans que les gens comme moi combattent sans relâche les gens comme vous. Les petits soldats d’un Art consensuel et mou, d’une création rabougrie, tenue fermement dans le cadre étriquée d’une morale qui passera comme la mode se démode. Petits procureurs énervés, défenseurs d’un Art poli, qui n’insulte pas, qui n’est ni grossier, ni menteur, ni violent, un Art qui vous respecte, un Art qui serait comme un oreiller bien confortable, et sur lequel vous pourriez vous reposer. Mais l’Art est une question qui vous empêche de dormir. Et aucun de vos petits emportements n’y pourra jamais rien. »

Et je n’en retire pas un mot. Pas un. Cependant, aujourd’hui, je dois en ajouter quelques autres. Car en plus de leur rôle de censeurs, menés par une morale sclérosée dans un monde qui a évolué plus vite qu’eux, les membres du CSA ont décidé de défendre la cause féministe ! Ouais mais, raté, quoi. Je vous cite le communiqué :

« Considérant que, au regard, pour la première [Work B**ch , Britney Spears], de la mise en scène d’un univers sadomasochiste qui donne de la femme une représentation susceptible de choquer de nombreux téléspectateurs et, pour la seconde [Wrecking Ball, Miley Cyrus], de scènes à connotation sexuelle, la diffusion de ces vidéomusiques n’est pas conforme au point 3 de l’article 4 de la recommandation du 7 juin 2005, qui prévoit notamment que « pour les vidéomusiques pouvant heurter la sensibilité des plus jeunes, l’éditeur s’attache à les diffuser après 22 heures », il est intervenu auprès de ces chaînes pour leur indiquer que ces vidéomusiques devaient être diffusés après 22 heures. »

Moi, ça me laisse sans voix. En dehors de la profonde absurdité de cette décision, qui oublie peut-être un peu vite que les clips sont regardé d’abord sur internet et zappés à la télévision, que les gosses aujourd’hui ne sont pas cons et qu’ils n’ont pas besoin de déshabiller Miley pour savoir ce qu’il y a sous la robe de leur copine, et que le sexe choque plus les parents que les enfants eux-mêmes, allez savoir pourquoi, en dehors, donc, de ces considérations, le petit côté morale prude mode Sarah Palin m’inquiète un tantinet. Tout d’abord, on ne m’avait pas prévenu que le sadomasochisme était interdit, imaginez le choc. Ensuite, pris d’un doute affreux, j’ai à nouveau visionné ce petit chef d’œuvre de l’art du clip musical (je blague), et puis tenez, tant qu’on y est, faites-le avec moi :

Ok, d’accord, il y a un petit coup de fouet mais, honnêtement, est-ce que les amateurs de BDSM ne risquent pas d’être un poil vexé ? Remarquez, après avoir entendu pendant plus d’un an les médias qualifier les timides coups de cravaches de  50 nuances de Grey de « roman érotique SM », on les imagine vaccinés à la connerie. Mais tout de même : est-ce que cuir + petites pointes + talons aiguilles = pour autant SM ? Et quelle est cette « représentation » de la femme « susceptible de choquer de nombreux téléspectateurs » ? Moi j’ai ma petite idée, mais on en reparle après Miley :

« Scènes à connotation sexuelle ». Un petit peu, oui, m’enfin, ça reste gentil, à moins que… Oh, ça y est. J’ai compris. Allez, un indice, je vous propose un clip non censuré par le CSA :

Vous comprenez, maintenant ? Les deux clips censurés exposent la sexualité féminine. Le clip non censuré est une illustration machiste d’une chanson faisant l’apologie du viol, chanté par trois hommes en mode dragueur de plage. Éternel constat dans le monde de la musique : quand une chanteuse expose sa sexualité, elle est traitée de « salope » et censurée. Quand un homme fait la même chose, c’est un « séducteur » ou un « charmeur ».

Parce que, chers lecteurs, pour le CSA, une femme nue est une « connotation sexuelle », et vous le savez, la « sexualité » est dangereuse pour les femmes. Si. C’est d’ailleurs avec ce même argumentaire plein de bon sens que les plus féministes des talibans imposent aux femmes le port de la burqa. Pour « les protéger » et ne pas soumettre les hommes « à la tentation ». Ainsi, on rhabille Miley parce que le corps de la femme est dangereux pour les yeux innocents du jeune public, alors que celui de l’homme, exposé librement, ne provoque même pas un haussement de sourcil. Sous prétexte de défendre l’image des femmes, le CSA fait donc exactement le contraire : rendre tabou le corps de la femme et la sexualité féminine.

Ernest Pinard, cité plus haut, avait attaqué en 1857 Flaubert et Madame Bovary pour « atteinte à la morale publique ». Dans sa plaidoirie, après avoir dénoncé les « mœurs dissolus » d’Emma Bovary, il déclara notamment : « L’art sans règle n’est plus l’art ; c’est comme une femme qui quitterait tout vêtement. […] Imposer à l’art l’unique règle de la décence publique, ce n’est pas l’asservir, mais l’honorer. » Soit, encore une fois, un parfait résumé de la pensée du CSA.

Sincères Condoléances,

Oskar Kermann Cyrus

Crédit photo: Terry Richardson

Bonus: Parodie féministe de « Blurred Lines » : « Defined Lines »

2 Commentaires

  1. Willem H.

    Des femmes qui ont une sexualité, quelle horreur ! La bêtise des bien-pensants est effrayante. Petite reprise tout de même : le corps masculin n’est pas si exposé que ça (cf. l’exposition masculin/masculin au musée d’Orsay, même si elle n’était pas forcément bien pensée).
    Honorons l’art en l’enfermant dans une cage, c’est tellement moins inquiétant.

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    1. Oskar Kermann Cyrus

      Je ne parle pas nécessairement de la nudité masculine. Mais par exemple, en été, des hommes torse nus dans les rues, ça ne choque personne. Les femmes n’en ont pas le droit, sauf à New York. Les Femen sont d’ailleurs arrêtées pour oser s’exposer. Et c’est d’ailleurs en cela que les Femen sont nécessaires au combat féministe.

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