Sodome et Gomorrhe

Lettre à l’élite culturelle de gôche

snobisme_bann

Chers lecteurs de gôche,

Je suis de gauche. Je n’écris pas ça pour me justifier – je n’en ressens pas tellement le besoin. Mais dans le cas improbable où la droitosphère s’emparerait de ce billet : je suis de gauche, je milite à gauche, je suis assez fier de faire partie des blogs 6.0 et je soutiens le Front de Gauche. C’est en ce sens que, très cher lecteur de gôche, j’aimerais porter à tes yeux exigeants une légère critique sur ton mépris pour la culture populaire.

Alors bien sûr, je fais des généralités. Tous mes lecteurs de gôche ne méprisent pas la culture populaire (suivez mon regard), mais vous vous reconnaîtrez. Certains ont compris que la légitimité dans la culture n’est qu’un effet de la lutte des classes, et qu’une poignée d’intellectuels bourgeois veulent faire de l’Art un salon VIP. Mais d’autres… D’autres, dont certains de mes abonnés, tombent dans le piège et méprisent la culture populaire comme si elle était sale, mauvaise, méprisable.

Depuis la création de ce blog, et depuis que je suis sur Twitter, j’ai reçu beaucoup de commentaires de gauchistes atterrés, consternés que je puisse m’intéresser à la musique Pop, et plus généralement à tout chanteur, chanteuse ou groupe de musique qui dépasse un certain seuil de vente. On appelle ça « l’effet Inrocks » : on aime jusqu’à ce que les gens connaissent. Plus trivialement, j’appelle ça « prendre les gens pour des cons ».

A la suite de ma critique du dernier album de Lady Gaga, ARTPOP, la semaine dernière, au milieu d’une flopée de commentaires élogieux, j’ai reçu ce commentaire d’un de mes abonnés « de gôche », Alain Poitras :

« Ces imbéciles qui dénigrent notre Lady Gaga chérie croient lui nuire mais au contraire, ils lui font une très bonne publicité, ce qu’elle fait est ce qu’on attend d’elle. Moi, je l’adore Lady Gaga, j’aime particulièrement lorsqu’elle chante Papapapapapa Poker Face … je ne m’en lasse pas, ça me rappelle la face que je vois dans le miroir en me levant le matin et ça sonne super bien dans mes grosses enceintes bass-reflex fabriquées maison.

Elle est bourrée de talent, j’aime bien aussi Madonna et Britney, pas seulement parce que les trois sont terriblement sexy mais surtout pour le message hautement anti-conformiste qu’elles propagent, j’apprécie particulièrement qu’elles fassent chier tous les constipés de droite et les punaises de sacristie, ça me fait marrer.

Boom ! »

Un truc m’a sauté aux yeux. Derrière l’ironie, derrière l’humour (mauvais), derrière la fausse décontraction de ce commentaire : le mépris, la hargne, le snobisme bourgeois d’une élite intellectuelle qui prétend délimiter arbitrairement les limites du bon goût. Quand c’est Zemmour, je m’en fiche, ce type est un imposteur. Quand c’est à gauche, ça me dérange. Car derrière ce mépris de la culture populaire se cache un mépris du peuple.

Il est en effet hypocrite de passer son temps à dénoncer la qualification de « populiste » décernée à Mélenchon par les médias, et mépriser la culture populaire sous des prétextes ronflants. Ce ne serait qu’une culture commerciale (c’est connu, les vrais artistes sont pauvres et anonymes), un avatar du capitalisme (cherchez donc « Andy Warhol » sur Google, et cultivez-vous)… A dire vrai, je ne crois pas à tout ça, et vous non plus. La vérité, c’est que vous prenez les gens pour des cons. Vous les méprisez. Parce que vous avez une haute (voire hautaine) vision de l’éducation et de la culture, vous méprisez ces gens qui aiment le foot et regarder des télé-crochets, à dire vrai, vous êtes victimes de cette caricature qui dépeint le peuple comme une masse imbécile, incapable de comprendre la beauté, ni même de s’élever à la lumière de la connaissance. Vous utilisez souvent le terme « vulgaire », en oubliant un peu vite qu’il provient du latin « vulgus » qui signifie « la foule, le commun des hommes, la multitude ».

Vous vous trompez. La culture n’est pas une pyramide dont vous seriez le sommet. La culture c’est ce brouillon de lignes tracées au hasard, parfois balbutiantes, parfois simples, parfois complexes, indéfinies et rarement fixes. Il n’y a qu’une seule chose en Art qui soit mauvaise : la certitude. Parce que la certitude ne mène à rien, la certitude immobilise, la certitude anesthésie et paralyse, la certitude est un poison et mène tout droit au néant de la pensée. La certitude, c’est la mort de l’Art et de la culture.

Je ne dis pas que tout ce qui se vend est forcément réussi. Mais il faut juger un livre, un disque, un film, par rapport à ce qu’il prétend être. A quoi sert de mépriser Marc Lévy quand lui-même ne parle pas de littérature pour définir ce qu’il écrit ?

Alors, cher lecteur de gôche, j’aimerais que tu réfléchisses un instant. Combien de temps vas-tu te joindre au discours ambiant, à ce mépris permanent des médias «intellectuels» pour tout ce qui plaît au plus grand nombre ? Vas-tu enfin réfléchir aux œuvres même avant de les décréter « mauvaises » parce que populaires ? Car il faut analyser avant de juger, il faut argumenter, non par le mépris, mais par le dialogue, par la culture et l’esprit. La beauté n’est pas unique. Une œuvre complexe est belle parce qu’elle appelle la réflexion. Mais une œuvre simple n’est pas forcément bête. Parfois, ce que l’on pensait indicible s’exprime dans le peu, dans le silence, dans le brouillon, dans ce qui semble raté. Parfois l’Art n’est qu’une émotion.

Cher lecteur de gôche, la qualité d’une œuvre n’est pas définie par sa popularité. Et les artistes ne devraient pas être obligés de pratiquer dans l’anonymat pour trouver grâce à tes yeux.

Alors pense, aime, et ne te prive pas de rire ou de pleurer parce que le bourgeois en toi trouve ça « vulgaire ».

Sincères Condoléances,

Oskar Kermann Cyrus

Bonus: Lady Gaga « Speechless »@ Royal Variety Performance 2010

4 Commentaires

  1. Willem H.

    Tout à fait d’accord ! Il n’y a pas d’art populaire : il n’y a que l’art, et des trucs intellectualisants/bobos/prétentieux et conformistes. En art, tout est question de plaisir.
    Et cet article est bien écrit. Et un bonus si sensible, c’est cool. Et « Heavy coup de gueule » sur fond de Botticelli, c’est drôle. Bref, j’aime bien.

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    1. Oskar Kermann Cyrus

      Merci !

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  2. bricelacoste13

    généralement il faut que la personne meure pour qu’elle ne soit plus considérée comme vulgaire mais comme une artiste (il faut donc vous l’aurez compris, tuer nabilla)

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    1. Oskar Kermann Cyrus

      Je suis d’accord avec ça (j’avais prévu un paragraphe la dessus, sur Sagan notamment, mais c’était long et chiant).

      Nabilla, c’est la version « oups, je ne l’ai pas fait exprès » de Marcel Duchamp.

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